Petit Rouge

Le mythe du recyclage - Mikaëla Le Meur

26/11/2025

TAGS: le meur, essai

J'ai eu vent de cet ouvrage par un ami lorientais. Apparemment, Mikaëla Le Meur y aurait fait une partie de ses études. J'ai réussi à me procurer un exemplaire de ce petit livre au titre accrocheur.

Le recyclage est une histoire que l'on se raconte depuis que l'humain observe et interagit avec les mouvements de la nature ; il repose sur le principe que les choses et les matières déchues pourraient être transformées, de manière quasiment perpétuelle, en objets de valeur - voire en argent sonnant et trébuchant, si on l'associe au désir des alchimistes de changer le plomb en or. Ce mythe est à la fois matériel et social, technique et culturel, car il implique un récit sur les transformations des matériaux autant que sur les transformations des rapports humains au sein de la société.

Et force et de constater que ce n'est pas exactement ce à quoi je m'attendais. A mi chemin entre le carnet de voyage et un ouvrage d'anthropologie flirtant avec l'économie (soit disant circulaire), cet ouvrage déconstruit le mythe d'une manière insoupçonnée et très bien écrite, en évitant avec brio la lourdeur académique. Il y a en effet l’idée de parler de notre relation tronquée aux déchets et pas uniquement d'énoncer des statistiques de manière factuelle. Ce n’est pas parce qu’il y a un logo indiquant qu’un objet est recyclable qu’il est recyclé de manière effective, et Le Meur propose une approche inédite pour le démontrer.

Pour ce faire, Le Meur se déplace jusqu'au Vietnam, vers une des destinations finale de nos déchets plastiques. L'amoncellement de ceux-ci est un problème dont personne ne sait exactement comment se débarrasser. Le tri des déchets venus du Nord par conteneurs amène les vietnamiens à créer une économie parallèle du recyclage. Le Meur remarque que regarder les déchets les rend visibles, ce qui nous arrange particulièrement dans nos pays qui ne se contente que de les mettre à la poubelle pour ne plus les voir. Le Vietnam comprend parmi les plus grand ports du monde, c'est une zone stratégique pour l’acheminement de marchandises en Asie, et y compris les déchets, devenus eux mêmes une marchandise dont personne ne veut vraiment.

Arrivés au port de Haiphong par cargos depuis des destinations lointaines, les conteneurs de déchets y sont déchargés chaque jour pour être déballés, triés, vendus et recyclés dans le village de Minh Khai, où des maisons bourgeoises poussent sur des montagnes de détritus.

Les entreprise de recyclage qui ont fleuri à Minh Khai, souvent familiales, sont un désastre sanitaire: aucune protection contre les émanations toxiques, et encore moins contre les dangers sécuritaires liées aux manœuvres des machines destinées à recycler le plastique. Le Vietnam est l'un des premiers importateurs de déchets dans le monde, mais ne peut en absorber la quantité. L'étude anthropologique amène le lecteur à réfléchir sur ce que signifie de vivre au milieu des déchets, avec sa dimension psychologique. Elle rapporte à cet effet:

L'un des hommes en charge de l'extrusion, un ouvrier d'une trentaine d'années, rencontré dans un entrepôt à l'arrêt pour cause de panne générale d'électricité, m'a un jour laissé photographier sa boucle d'oreille artisanale : une pastille de plastique directement cueillie dans le bac où les granulés recyclés découpés au rythme de la chaîne tombaient dans un doux ruissellement couvert par le brouhaha des autres machines. Son lobe gauche, percé au centre, arborait fièrement ce joyau d'extraction locale. Auprès de lui, qui aspirait à devenir un jour propriétaire de sa propre ligne de recyclage, la fusion du plastique devenait fusion avec le plastique, et les déchets se changeaient en pierres précieuses : le rêve de tous les alchimistes.

Le plastique est devenu une raison de vivre pour certains, et leur visibilité permanente redessine les modes de pensée. Et malgré l'émergence d'une économie qui permet à certains de sortir de la pauvreté extrême, il reste pour ces travailleurs de l'ombre, acteurs d'une économie souterraine, le fantasme d’un impossible retour en arrière:

La présence des ordures, de la pollution, des usines, du trafic routier est tellement ancrée que la situation semble irréversible.

Les recherches de Le Meur l'amènent à participer au salon du plastique et du recyclage. Elle n'est pas particulièrement la bienvenue, et elle nous rapporte les discours hypocrites des grands groupes du secteur, qui éludent évidemment une remise en question du modèle global autour du recyclage. Le plastique reste un fort enjeu commercial, qui n'a pour l'instant aucune alternative réellement soucieuse de l'environnement, malgré quelques variations soit disant "bio" dans leurs procédés de synthèse. Le recyclage est un marché en expansion, qui s'inscrit dans un contexte de géopolitique mondialisée faisant subir aux pays pauvres dont le Vietnam une pression économique forte. Le tout au détriment de son environnement.

Révélée à l'occasion de cette crise, la « mondialisation par le bas » du commerce international des déchets semble bien se produire de manière souterraine, sous le regard de l'Etat vietnamien, incapable de réguler les flux de matières.

Pris en étau par les pressions commerciales mondiales, le Vietnam reste le dépotoir des pays occidentaux qui, malgré certaines directives européennes en matière de gestion des déchets plastiques, sont incapables de réviser leur logiciel de croissance infinie. L'autrice achève son récit en ouvrant la voix autour du sujet démocratique, que je n'ai pas entièrement saisi dans ce contexte, mais qui interpellera le lecteur quant aux décisions réelles que le peuple devra amener pour qu'un changement de paradigme soit possible.