Petit Rouge

Œuvres - Walter Benjamin

05/11/2025

TAGS: benjamin, ramstein, essai, philosophie, berger

Je me suis procuré cette sélection de sept essais de Walter Benjamin parue chez Payot, notamment à cause de l'illustration de couverture sympathique signée Anne-Margot Ramstein. Et il était temps que je me penche sur ce philosophe allemand dont beaucoup entendu parler, et dernièrement dans « Ways of seeing » de John Berger. L'ouvrage contient les essais suivants: "Le Conteur", "La Tâche du traducteur", "Petite histoire de la photographie", "L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique", "Paris, la capitale du XIXe siècle.", "Le surréalisme" et "Sens unique".

Le roman se détache de toutes les autres formes de littérature en prose - les contes, les légendes, et même les nouvelles - par le fait qu'il ne provient pas de la tradition orale ni ne vise à s'y intégrer. Mais il se distingue avant tout de l'acte de raconter. Le conteur tire ce qu'il raconte de l'expérience, de la sienne propre et de celle qui lui a été rapportée. Et il en fait à nouveau une expérience pour ceux qui écoutent ses histoires. Le romancier s'est détaché de son environnement. La salle d'accouchement du roman est l'individu dans sa solitude, l'individu qui n'est plus capable d'exprimer sur un mode exemplaire ses désirs les plus importants, qui, n'étant pas lui-même un homme de conseil, ne peut donner le moindre conseil. (Le Conteur, V)

Benjamin expose la tradition orale du conte, ce qui m'a immédiatement rappelé "Les immémoriaux" de Segalen pour sa première partie consacrée aux récitants. Le conteur apporte, selon le philosophe allemand, une morale ou un conseil pratique issu de l’expérience commune dans ses histoires. Fait intéressant, Benjamin développe sa thèse sur de courts chapitres, ce qui rend sa lecture moins dense et plus digeste. Il décrit ensuite l'essor de l’imprimerie et de la presse, comme instruments bourgeois pour asseoir son pouvoir. L’information écrite devient une nouvelle forme de communication que l'auteur oppose au conte. C’est intéressant de voir comment le philosophe part de ce genre en apparence enfantin, pour dresser un panorama moderne sur le pouvoir.

Chaque matin nous rapporte les nouvelles du globe. Et pourtant, nous sommes pauvres en histoires remarquables. Il en est ainsi parce qu'aucun événement ne nous parvient qui n'ait été truffé d'explications. En d'autres termes : bientôt, plus rien de ce qui se produira ne servira le récit; bientôt, tout sera au profit de l'information. (Le Conteur, VI)

Il y est largement fait mention de Leskov dans cet essai, auteur dont je n’ai jamais entendu parler. Il y a des éléments intéressants, et Benjamin va loin dans son analyse, mais il m’a perdu en fin d’essai car j’ai trouvé l’exercice un peu futile et pédant. Hormis les citations recueillies, je n’y ai pas trouvé matière pertinente à retranscrire ici.

"La tâche du traducteur" est probablement l'essai que j’ai le moins aimé. Pour autant c’est frappant de voir que Benjamin part d’un fait si anecdotique pour aller aussi loin dans sa réflexion. En évoquant la traductabilité et l'étrangeté de la langue, l'auteur finit par aborder les religions. La traduction d’une œuvre amène à sa postérité, ce qui fait sens dans un contexte religieux, mais qui apporte aussi le biais humain inhérent à cet exercice qui pourrait expliquer en partie les guerres de paroisses. J’ai largement survolé cet essai, qui était beaucoup plus dense que le précédent, et sans aucune section.

Dans « Petite histoire de la photographie », Benjamin aborde l'industrialisation et la commercialisation fulgurante de la photo. Cet art de l’instant permet de figer l’émotion plus rapidement qu’une peinture. Dans le cas du portrait en peinture, dont la pose en était constitutive, la photographie permet l'instantané, de capter le fugitif. Benjamin va loin dans l’analyse du changement de ce paradigme artistique. J'ai alors constaté quelque chose d'intrigant qui explique son originalité: Benjamin réussit à emmener le lecteur loin dans sa réflexion en partant d'un tour d'horizon en apparence banale.

De jour en jour s'affirme, toujours plus irréfutable, le besoin de s'emparer de l'objet à partir de la plus grande proximité dans l'image, ou plus exactement dans la reproduction (La tâche du traducteur)

Et c'est à partir de là que l'on commence à voir la critique de la publicité, qui permet de visualiser l’objet convoité et d'asservir son public à la société de consommation. J'ai enchaîné sur sa suite logique, "L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique" qui semble avoir directement inspiré "Ways of seeing" de Berger. Benjamin exprime ici un point très intéressant et actuel, lorsqu'il décrit la théorie de l’art au service d’une action révolutionnaire, et en opposition au fascisme qui inverse le paradigme. L'essai démarre sur l’historique de la reproductibilité technique d’une œuvre d’art: gravure sur cuivre, sur bois puis lithographie, photographie et film. J’ai perdu le fil en cours de route. Mais à un moment il est surtout question d’évaluer dans quelle mesure l’aura d’une œuvre perdure au fil du temps avec la reproduction des œuvres, en particulier avec l’arrivée de la photographie. Ce qui implique de questionner le lecteur sur la valeur d’une œuvre artistique. Ça dérive sur le cinéma et le rôle de l’acteur, en particulier par une critique du cinéma mercantile. Pour l’auteur, le cinéma peut être révolutionnaire mais ne l’est pas dans les faits.

La reproductibilité technique de l'œuvre d'art modifie le rapport de la masse à l'art. Des plus rétrogrades, hostile à un Picasso par exemple, elle devient des plus progressistes, par exemple devant un Chaplin. (L’œuvre d’art à l’époque, XII)

Benjamin analyse les comportements de masse. À partir de la différence fondamentale liée à la technique qu’induit le cinéma, l'auteur énonce:

Comparons la toile sur laquelle se déroule le film avec la toile sur laquelle se trouve la peinture. Cette dernière invite le regardeur à la contemplation; devant elle, il peut se livrer à ses associations d'idées. Ce qu'il ne peut faire devant la prise de vue filmique. (L’œuvre d’art à l’époque, XIII)

Influencé par son époque, l'auteur évoque la finalité du dadaïsme sur le cinéma, et notamment sur ce que ce courant artistique a voulu provoquer chez le spectateur, à l’aide d’une image fixe par exemple. L’épilogue est intrigant: le fascisme espère une esthétique de la politique, là où le communisme souhaite la politisation de l’art. Il est fascinant de voir que Walter Benjamin part de constats assez anecdotiques pour en arriver à une image d’ensemble.

L'essai suivant, "Paris, la capitale du XIXe siècle", permet à Benjamin d'honorer des figures de proue françaises, comme Fourier (et son socialisme utopique), Daguerre, Baudelaire et d'autres. La section sur Daguerre m’a fait comprendre que la peinture a eu besoin de se renouveler avec l’arrivée de la photographie. C’est ainsi que le cubisme a succédé à l’impressionnisme. La photo ne pouvait pas représenter ce champ pictural. Je n'avais jamais vu cette mutation artistique sous cet angle historique, et cela me semble tout à fait limpide maintenant.

Avec le bouleversement de l'économie des marchandises, nous commençons à voir que les monuments de la bourgeoisie sont des ruines, avant même qu'ils ne se soient écroulés. (Paris, VI)

Le surréalisme (Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne) est l'essai que j’attendais avec impatience. Mais il s'est avéré difficile à suivre néanmoins. Il évoque surtout Nadja d’André Breton, que je n’ai toujours pas lu. Cet essai lui permet d'étriller les positions bourgeoises de gauche. Benjamin s’attarde sur l’étude du « satanisme » des surréalistes. En particulier chez ses précurseurs comme Rimbaud ou Lautréamont.

Si la double mission de l'intelligentsia révolutionnaire est de mettre à bas la suprématie intellectuelle de la bourgeoisie et d'établir le contact avec les masses prolétariennes, alors elle a presque entièrement échoué dans la deuxième partie de cette mission, parce que celle-ci ne peut plus être remplie de manière contemplative. (Le surréalisme)

Le dernier essai, intitulé "Sens unique", est une collection de textes assez courts, et plus personnels. Entre commentaires et réflexions sur la vie. J’ai largement survolé certains textes, jusqu’à abandonner complètement sur les derniers. L'auteur est polyvalent et manie la critique littéraire, une compréhension des aspects technique et le commentaire politique et social avec brio. Cette sélection permet de se rendre compte de l'itinéraire intellectuel d’un philosophe qui a assimilé les révolutions de son temps: politique avec le marxisme, psychologique avec Freud, artistique et technique avec l'émergence de la photographie et du cinéma. J'ai trouvé cela impressionnant, malgré le fait que j’ai parfois eu du mal à le suivre. Je réalise au final que, bien qu'intéressant sur de nombreux aspects, j'aurai eu du mal à rentrer dans cette sélection. Je ne suis pas sûr de continuer à m'intéresser à ce philosophe à l'avenir...