Confondre l'homme Segalen, ses poèmes ou même - ou surtout - Stèles, avec la Chine - serait-ce avec une certaine image de la Chine - est donc en fin de compte l'approche la plus facile d'une œuvre difficile qui se referme sur elle-même. C'est la réduire à son apparence. Pire : c'est la détourner au profit de cet exotisme de façade que Segalen refusait pour une conception plus riche du même exotisme dont il nourrissait sa quête. (Pierre-Jean Rémy)
Après la préface, et avant d'entamer la poésie en tant que telle, Segalen donne une explication du rôle de la stèle en Chine. Historiquement, cette pierre simple en apparence est pleine de significations et peut être orientée selon les points cardinaux ou « au milieu », selon la fonction qu’on veut lui donner. C’est selon ces orientations que Segalen sectionne le recueil.
Je ne retranscrit pas la signification intrinsèque de l'orientation des stèles par Segalen, malgré le fait qu'elle pourrait servir d'élément utile pour la compréhension de l’œuvre dans sa globalité, car je n'ai de toute manière pas saisi la subtilité de celle-ci. Car "Stèles" est vraiment une lecture d'initié, très cryptique, qui exprime - comme le mentionne Rémy dans la préface - l'influence de la Chine sur des poèmes très personnels. Il y a en effet, malgré cette forme chinoise, une intimité de la part de l'auteur qui dépasse l'hommage à ce pays qui l'aura pourtant profondément marqué. Même si ma compréhension des poèmes est très imparfaite, j'y ai pu déceler sur certains vers libres des prises de positions personnelles, comme le suggère celui-ci:
Viennent ensuite des promesses : une incarnation; un supplice; une mort; une résurrection. Or cela n'est pas bon à faire trop savoir aux hommes. (Religion Lumineuse)
Il semble assez probable que Segalen évoque le Christ. Et qu’il parle régulièrement de l’occident du point de vue oriental, ce qui lui permet dévoiler sa pensée iconoclaste à destination d'un lectorat qui n'a probablement, comme moi, aucune idée du mode de pensée chinois. Par cet effet, le poète breton peut, sous cette apparence mystérieuse, dévoiler sa personnalité.
Le Sage dit : Étant sage, je ne me suis jamais occupé des hommes. (En l’honneur d’un Sage solitaire)
Ce que Segalen semble avoir saisi, c'est une certaine idée de la sagesse d’un peuple millénaire qui juge l’occident, ce que l'on peut imaginer dans les sections "Stèles orientées" et "Stèles occidentées". . Mais peut-être qu'il veut nous jouer un tour ? Ces vers libres, qui héritent probablement d'une tradition chinoise qui m'échappe, sont très souvent impénétrables. Le Breton évoque une multitude de sujet, la guerre et l'amour, et je ressens aussi chez lui un tempérament dépressif:
Et dans tout mon cœur il fait nuit. (Ordre au soleil)
Mais ce vers seul ne rend pas justice au propos global, et Segalen semble contrer ce spleen par une curiosité et une ouverture d'esprit inégalée. J'ai parfois pensé à Artaud - je ne vois pas d'autre élément comparatif entre eux - dans cette volonté de se transcender. Mais je ne retrouve pas chez Segalen la fulgurance du premier, et je ne me destine pas à une relecture de "Stèles" à l'avenir, ayant bien trop souffert dans ma tentative de percer son mystère.