… Il est à la recherche des origines, de la race perdue, du continent légendaire, première étape vers un continent plus lointain encore…
L’histoire semble essentiellement être une rêverie de Corto. Son aventure démarre à bord d'un bateau, dans lequel d’anciens camarades l'accompagne dans une croisière à la recherche du continent perdu: Raspoutine, Bouche Dorée, Tristan Bantam, Levi Colombia… Ils se retrouvent dans le Pacifique pour chercher un vestige de l’Atlantide.
… Un labyrinthe caché dans un rébus avec une énigme pour solution ? … Oui, cela peut être intéressant, s’il y a le trésor habituel à la clé… Et même s’il n’y a rien… Il y a les arcanes, le mystère, l’ambiguïté, le sphinx, l’allégorie, la charade… Ce qui compte… C’est le symbole, le jeu, l’aventure, mais je ne viendrais pas. Tu sais pourquoi ? Parce que tu ne me l’as pas demandé comme il faut. (Raspoutine)
C'est encore une fois une lecture d’initié, un peu de la même manière que dans "Fable de Venise". Comme toujours avec Pratt, il mélange tout ce qui touche un peu à l’ésotérique ou la magie. Mais ce pot-pourri d'action, d'exotisme et de mystère occulte fait partie du charme des aventures de Corto Maltese. Il doit ici sortir du labyrinthe harmonique de la cité perdue. Différentes épreuves initiatiques attendent Corto pour retrouver Soledad Lokäarth, qui a été kidnappée du bateau par les indiens de la cité. Tracy Eberhard, une pilote d'avion échouée sur l'île, va l'aider à libérer ses amis des hommes araignées en construisant une montgolfière de fortune. L'histoire part encore une fois dans tous les sens, pour ne pas avoir de doutes sur le fait qu'on évolue dans les rêves de Pratt, et cela pour mon plus grand plaisir.
Va et ne reviens pas du monde des songes. Adieu ami… (Kukulkan)
Adieu… dis-moi seulement quel est le monde des songes et quel est celui de la réalité ? Je n’arrive plus à faire la différence. (Corto)
À l’époque je trouvais le trait de Pratt trop grossier dans cet album. Je voyais Mū comme la dernière aventure de Corto Maltese, que l’auteur italien aurait bâclé. Je l’apprécie davantage aujourd’hui, étant plus sensible à l'expérimentation de Pratt. On a pourtant vraiment l’impression qu'il dessine dans l’urgence. Et il y a en effet des traits parfois peu appliqués, à gros renfort d'aplats d'encre de Chine, comme pour montrer au lecteur que l'auteur est tout aussi humain que lui, avec ses défauts. On peut aussi supposer que l'auteur insiste, par ce dispositif, sur sa présence même dans l'histoire: il contrôle la rêverie de Corto, de la première à la dernière page. Je trouve l'approche intéressante, comme si Pratt assumait aussi son matériel de dessin, le trait sur le papier, jouait avec la plume et le spectateur par la même occasion. Cela donne de très bonnes choses, d’autres un peu moins bonnes. Comme ces premières planches abstraites et minimalistes, dont l’idée était bonne et la réalisation un peu moins, à mon sens.
Mū est la dernière aventure de Corto Maltese dessinée par Hugo Pratt et parue en 1992, avant sa récupération par d'autres auteurs (je ne me vois tout simplement pas les lire). Est-il possible de reprendre les aventures de Corto Maltese sans Pratt, alors que Hugo Pratt est Corto Maltese ? J'ai du mal à y croire. Non dénué de défauts, cet album est probablement la plus clivante des aventures du marin maltais, à la fois dans le dessin et le scénario. Et je constate que mes appréciations évoluent au fil du temps car j'étais resté sur un mauvais a priori lors de ma lecture de jeunesse.