Józef rend visite à son père Jakob dans un étrange sanatorium, délabré et lugubre, qui semble avoir le pouvoir de retarder le temps. Jakob est à l'article de la mort et le docteur semble avoir retardé son heure fatidique. Józef s'aventure dans le vaste domaine, passant d'une scène à une autre pour profiter des derniers instants de vie de son père. Son pèlerinage l'amène à réaliser que le temps reculé ne peut rien contre le délabrement physique et moral de l'être humain.
Ce qui frappe immédiatement le spectateur, c'est l'incroyable travail de l'équipe technique sur les décors. Has passe de l'un à l'autre, à l'aide plans séquence magistraux. La caméra en contre plongée accentue le caractère oppressant de certaines scènes, pour immerger le spectateur dans une ambiance surréaliste et fantastique. Les travellings, très linéaires et souvent dirigés dans un mouvement rétrograde de la droite vers la gauche, permettent à Has de présenter la remontée dans le temps de Józef. Les transitions entre les scènes sont superbement amenées par le réalisateur polonais.
Reste que le film est très opaque pour quiconque n'étant pas initié au judaïsme ou tout autre symbolisme mystique. Certains détails m'ont par exemple échappés en première intention. Notamment lors de la scène de danse des juifs dans ce qui s'apparente à un ghetto bordélique: on y voit une échelle, référence probable à l’échelle de Jacob qui, dans la bible relie ciel et terre afin que les anges puissent transiter. Ici l'ange c'est Adela, la femme légère et un peu folle qui est au bout de l'échelle que Józef grimpe. "La Clepsydre" est surtout une médiation très décousue sur le temps destructeur, qui finit néanmoins par perdre le spectateur en cours de route. Ce film est pourtant un chef-d’œuvre de mise en scène, auquel je serais largement passé à côté sans les sollicitations d'un ami qui m'a incité à aller le voir au cinéma Reflets Médicis du Quartier Latin.
Ce film est une adaptation d'un roman de Bruno Schulz du même titre original (Sanatorium pod Klepsydrą, en français Le Sanatorium au croque-mort). Pour ce que j'en sais, cet ouvrage est un recueil de nouvelles qui décrivent l'enfance de Schulz, dans des rêveries que Has interprète ici à l'écran. Malgré l'opacité du propos, qui laisse le spectateur dans l'attente d'un dénouement final plus évident, "La Clepsydre" est une très belle surprise. Je ne connaissais le cinéma polonais que dans sa version exilée, à travers les films de Roman Polanski ou Jerzy Skolimowski. Ce film m'incite à me pencher sérieusement sur ce cinéma d'art et d'essai qui semble avoir notamment inspiré Scorcese.