Je me suis enfin décidé à lire Dune de Frank Herbert, ce classique de la science-fiction dont je ne connaissais que les adaptations cinématographiques. J’ai dans un premier temps abordé Dune avec la version avortée de Jodorowsky, qui a vu une existence relative à travers le documentaire "Jodorowsky’s Dune" de Frank Pavich, sorti en 2013. Il donne un aperçu de ce projet fou, trop ambitieux pour se concrétiser. Ce qui m’a ensuite amené à visionner l’adaptation de David Lynch, mal aimée, mais qui m’a pourtant redonné l'envie de m’atteler à la lecture de ce roman qui semble déchaîner les passions depuis sa parution en 1965. J'ai retardé la lecture et je l’ai réellement démarrée après voir vu les deux premiers volets de l'adaptation du roman par Denis Villeneuve.
Dune est un roman situé dans un futur lointain où des maisons puissantes se disputent le contrôle d'Arrakis, une planète désertique et hostile qui est la seule source de l'Épice. Cette substance prisée prolonge la vie, augmente les facultés psychiques et permet le voyage interstellaire. Le récit se concentre sur Paul Atreides, un jeune homme de 15 ans dont la famille hérite de la gouvernance d'Arrakis. Le duc Leto Atreides, père de Paul, est trahi par un complot impérial exécuté par la famille rivale Harkonnen. Paul et sa mère Jessica sont épargnés et survivent dans le désert grâce aux Fremen, un peuple autochtone qui s'est adapté aux conditions extrêmes de la planète. Paul étant la résultante d'un croisement génétique sur de nombreuses générations, opéré par les sorcières de la Bene Gesserit, il devient progressivement le Kwisatz Haderach, un leader messianique destiné à délivrer les Fremen de la tyrannie des Harkonnen.
Once men turned their thinking over to machines in the hope that this would set them free. But that only permitted other men with machines to enslave them. (Reverend Mother)
J'ai été rapidement impressionné par la clairvoyance de Herbert. La précédente citation témoigne exactement de ce qu’il se passe aujourd’hui, notamment avec l’émergence de l'intelligence artificielle. Il n'y est pas forcément question dans ce roman, mais rien que cette phrase mérite d'être citée tellement elle est prophétique. Il y aura dans la suite du roman, un certain nombre de réflexions sur la technologie se heurtant à la nature, notamment à partir des interventions de Kynes, le scientifique écologiste des Fremen. Herbert imagine un futur où le désert et l'absence d'eau sont omniprésents. L’eau est plus précieuse que l’épice pour les Fremen. Les colons de la planète Arrakis doivent forer les dunes pour en extraire l'épice. On remarque l'antagonisme d'un peuple qui s'adapte aux contraintes naturelles et des puissantes maisons qui ne se soucient que d'extraire l'épice, sans considération pour l'écosystème. "Dune" est un roman écologiste avant l’heure, qui ne traite pas uniquement de ce sujet, comme pourrait le faire JG Ballard dans certains de ses ouvrages. Au delà du caractère écologique indéniable, ce roman aborde de manière subtile différentes thématiques comme la religion, le pouvoir et le déterminisme.
How soon this child must assume his manhood, Hallock thought.
Il y a cette obfuscation technologique que j’avais déjà appréciée chez William Gibson et qui rend très actuelle sa représentation du futur. Je me suis même dit qu’il était probable que les adaptations cinématographique soient davantage démodées que le roman, à l'avenir. Les joutes d'esprit entre les différents personnages ne sont d'ailleurs pas correctement retranscrites dans les films, ce qui est inhérent à l'écriture particulière d'Herbert. Le monologue intérieur des personnages est mis en évidence en italique dans le texte, ce qui rend plus complexe leur restitution sous forme cinématographique. Que c’est brillant de sa part de montrer l'intelligence déductive des protagonistes par l'analyse du comportement des interlocuteurs et leur capacité à lire entre les lignes. Ce qui est particulièrement magistral dans la scène du dîner mondain organisé par les Atreides. Les Bene Gesserit, notamment Lady Jessica, mère de Paul, sont les plus impressionnants à ce petit jeu là. J'ai aussi remarqué de nombreuses différences entre le roman et les deux films de Villeneuve: Alia la sœur de Paul est née dans la troisième partie et Paul a de plus eu un fils de Chani, nommé Leto en hommage à son père (qui décède en bas âge lors de la dernière bataille d'Arrakis).
Le roman est divisé en trois parties: Dune, Muad’Dib et The Prophet. Les chapitres sont relativement courts, ce qui rend la lecture agréable, d'autant plus que le texte est suffisamment aéré. Il n’est pas trop dense pour décourager le lecteur. Paul réalise qu’il est le Kwisatz Haderach à la fin de la première partie, qui s'achève sur la défaite de la maison Atreides. Herbert ne perd pas son temps à décrire des batailles perdues: il s’intéresse davantage à la psychologie des personnages qu’à l’action, ce que j’ai apprécié. Paul est aussi très préoccupé par ses visions du jihad, qui semble inéluctable au fur et à mesure que Paul assouvit sa suprématie en devenant le messie des Fremen. La préscience du héros (ou dans une une moindre mesure de sa mère Jessica) sont parfois exacerbées par une prise de drogue qui confine au psychédélique. Ce n'est finalement pas étonnant sachant que le roman a été publié en 1965. Je comprends d'ailleurs mieux l’intérêt qu’a eu Jodorowsky pour ce livre: il est largement question de transcendance et d'éveil des conscience dans celui-ci.
In the face of these facts, one is led to the inescapable conclusion that the inefficient Bene Gesserit behaviour in this affair was a product of an even higher plan of which they were completely unaware! (Appendix III: Report on Bene Gesserit Motives and Purposes)
L’écriture est cryptique: cela m'a souvent fait penser à Gibson. Herbert crée un langage quasiment impénétrable qui contribue largement à la création d'un monde à part. Chaque chapitre est précédé d'un extrait de l'histoire du Muad'Dib. On devine assez rapidement qu'il s'agit de Paul. C'est malin d'avoir imbriqué dans l'histoire des extraits d'une prophétie. Il faut bien une grosse centaine de pages à Herbert pour poser le contexte. Le récit s'emballe après, et devient complètement captivant par la suite. Mais j'ai trouvé la fin du roman très abrupte: cela m'a presque frustré tant la troisième partie est rythmée différemment des deux premières. Reste que Dune est une claque: j'ai été captivé par cet opus et je compte bien m'atteler à lire les tomes suivants.