Cet ouvrage de 2006 est une de ces lectures de jeune adulte qui m’avait impressionnée à l’époque. J’avais méthodiquement recueilli les nombreuses références de ce roman, pour les lire et me faire un avis sur l’opinion très tranchée de Sportès à propos du maoïsme, et du gauchisme en général. Un auteur qui encensait le général de Gaulle me semblait alors très anachronique. Et pourtant. Je ne me souviens pas exactement comment j’avais découvert Sportès, moi qui à l’époque idolâtrait le Pasolini journaliste et critique des « Écrits corsaires ». Qu’en est-il aujourd’hui ?
D'ici quelques mois ils se marieraient, ils feraient une grande fête, ils inviteraient tous leurs amis. Enfin... pas tous : en ce qui le concernait du moins. Il inviterait uniquement ceux qu'il s'était faits dans sa vie nouvelle, sa vita nuova, cette vie qui avait commencé pour lui depuis... depuis six mois... depuis qu'il connaissait Sylvie, c'était elle qui avait permis à son «oui» de s'épanouir, de s'affirmer, mais ce « oui » datait d'avant bien sûr, quelques poignées d'années avant... Pour ce qui était de ses autres amis, les anciens, eh bien, on ferait... le tri.
On y suit les pérégrinations de Jérôme Rouhaut, maoïste repenti comme nombre de ses congénères, menant une vie bourgeoise avec sa compagne Sylvie. Mais il recroise par hasard le chemin d'Obélix, un ancien de la Cellule de Résistance Armée Prolétarienne (CRAP). Régulièrement harcelé par Obélix pour reprendre du service, Jérôme devient de plus en plus paranoïaque, perturbé par cette irruption dans sa nouvelle vie. Sportès prend un malin plaisir à malmener son protagoniste, en lui faisant ingérer des tonnes de whisky-tranxène, comme lors du repas chez Sylvie avec avec les anciens maoïstes qui ont tous retourné leur veste pour se reconvertir dans des carrières bourgeoises dans l’art ou l’édition. C'est un joli prétexte pour étriller des personnalités ayant réellement existé, sous couvert de fiction.
Vous les étudiants vous vouliez rentrer en usine, nous, ouvriers, on ne rêvait que d'en sortir... (Michel Soutier, alias Pluvinage)
Ils finissent tous par renier leur passé et conspuer à l’unisson le prolétariat, dans son intégralité. Car il n’ont pour la plupart quasiment pas appartenu à cette classe, qu'ils n'ont tout simplement jamais comprise, et pourtant tenté de convertir au maoïsme. Obélix débarque à l’improviste et fait chanter Jérôme: il lui ordonne d’assassiner René Ramirez, le meurtrier de Jeannot (un martyr maoïste), sinon il nuira à sa réputation en divulguant son passé d’agitateur mao à son entourage. Quelques jours passent et la police arrête Jerôme et ses anciens complices suite à l’explosion d’un magasin Reblochon. La Nouvelle Avant-garde Rouge est dans le collimateur de la police, dont le commissaire Brosson. La NAR est à l’origine de nouveaux attentats, et insiste de nouveau pour que Jérôme abatte Ramirez. Après une folie alcoolisée, Il est convoqué à l’Elysée par Jacques de Roudelort, le père de sa compagne Sylvie. C’est à travers lui que Sportès donne son opinion sur le vaste sujet du gauchisme et de sa manipulation par les américains, qui n’auraient semble-t-il jamais pardonné à de Gaulle de s’être affranchi d’eux (en sortant de l'OTAN, en revenant à l'étalon-or).
Ces penseurs des sixties-seventies n'étaient-ils pas au fond des... cancres, drapés dans les obscurs oripeaux de leur style souvent abscons ? (Jérôme)
C'est un très beau résumé de l'inconsistance des intellectuels qui se sont drapés dans un jargon qu'ils ne maitrisaient pas. Ils ont d'ailleurs été bien plus tard étrillés par Sokal et Bricmont sur leur usage fallacieux de concepts scientifiques.
II ruminait, il monologuait: ces Français étaient des veaux, qui s'étaient précipités dans les jupons de Pétain, puis dans ceux de De Gaulle à la Libération: par trouille. Comme ils s'étaient précipités par trouille sur les Champs-Elysées, pour l'acclamer à la fin de Mai 68, par trouille de l'émeute, de l'ouvrier au couteau entre les dents, par trouille de l'Autre... Et puis, la trouille passée, leur cul diarrhéeux nettoyé, ils avaient rejeté le Général, ils s'étaient réfugiés dans les bras du néant atlantiste, du grand Prisunic interplanétaire, tous les espoirs, les rêves, les utopies, les moulins à vent s'effondrant.
La peur semble, pour Sportès, être le levier le plus efficace pour faire plier les peuples, par la manipulation. La France a aujourd'hui peur de l’immigré et cela ne sert qu'à créer davantage de désordre dans un pays en pleine régression. Jérôme comprend cela grâce à de Roudelort mais, devenu fou et retourné par la NAR, il doit désormais s’occuper de faire exploser l’Assemblée Nationale, après avoir fini par tuer Ramirez. S’ensuit un chapitre détaillant un complot anticommuniste mené en secret depuis les États-Unis. Il est convoqué par le mystérieux 222 22 22, membre d’une officine occulte, qui lui explique les mécanismes de manipulation déployés sur le maoïsme. Il avoue s'être servi d'eux comme idiots utiles pour discréditer la gauche dans son ensemble, afin de maintenir la droite au pouvoir.
"Maos" est donc une fiction mêlant anecdotes réelles sur les maoïstes de l’époque. Sportès joue avec le lecteur, brouille les pistes et met par moment le roman en abîme. L’auteur est contraint de proposer plusieurs fins à l’ouvrage: les éditeurs censurent l’attentat contre l’Assemblée Nationale. C’est un polar historique un peu foutraque, le pendant fictif de « Ils ont tué Pierre Overney ». Mais il y a des anachronismes, probablement volontaires, qui m’ont interpellés. Mentionner American Psycho de 1991 dans un roman censé se dérouler dans les années 70 est étrange. Mais cela doit probablement servir au roman pour le maintenir d'actualité. Malgré le fait que ce roman vire au complotisme, il y a une belle mise en perspective des rapports de force qui s'opéraient alors. J'aime bien Sportès, malgré les défauts du roman, que j'ai néanmoins lu d'une traite. C'est plutôt bien écrit, les références sont nombreuses: il y a un effort notable dans le travail d'archive. Car il ne devait en effet pas être toujours très amusant de se palucher les écrits maoïstes idiots qui parsèment chaque chapitres du roman.