Silence, canaille ! Tout ce que tu diras à partir de maintenant pourra être retenu contre toi ! (Le Shérif)
Cet album des aventures de Lucky Luke est un hommage de Blutch à Morris. Le cowboy solitaire qui tire plus vite que son ombre ramène au Shérif un petit malfrat, Rufus, pour en tirer une prime. Il repart aussi vite qu'il est venu mais croise la route de deux mômes, Rose et Casper, qui le prennent à parti. Les deux sales gosses vivent seuls dans la maison familiale, abandonnés semble-t-il de leurs parents. Mais Lucky Luke réalise rapidement que Rufus est le grand frère de Rose et Casper. S'ensuit de nombreuses péripéties pour retrouver les parents de ces trois "indomptés", qui ont disparu avec un magot convoité par une bande de desperados antipathiques...
Ça se donne de grands airs et c’est même pas fichu de nous garantir un minimum de sécurité. (Un badaud)
On retrouve donc le trait si caractéristique de Blutch, non pas dans le style global des personnages qui est assez fidèle à celui de Morris, mais dans son encrage. Lucky Luke ressemble au personnage que l'on connait mais on remarque la patte de Blutch dès le crayonné. Il y a de plus des rappels à l'humour si particulier de l'auteur, notamment dans sa période Fluide Glacial, qui avait notamment illustré du western dans "Rancho Bravo" (que je n'ai pas relu depuis très longtemps). Cet humour se matérialise surtout dans les répliques des badauds.
Avoir précipité deux jeunes âmes dans ce chaudron de l’enfer est criminel ! (Une vieille puritaine)
Mais au delà de l'aventure proposée dans cet album cartonné, qui est une aventure de Lucky Luke aux apparences classique, il y a quelque chose de beaucoup plus subtil dans la manière dont Blutch s'accapare le sujet. En effet, cet album est un hommage à sa famille et les trois indomptés de cet ouvrage sont calqués sur les enfants de l'auteur. Casper est basé sur Lucas, le fils autiste de Blutch. Ce qui permet davantage de comprendre les réactions décalées du petit bonhomme dans le récit, ses répliques apparaissant en marge de celle du récit. En plus d’être un hommage au cowboy solitaire, cet album permet à l’auteur de parler de manière subtile de sa famille, sans passer par l’autobiographie. Il les a même fait intervenir dans la réalisation de l'ouvrage. Le mot "fin" qui clôt l'album a été écrit par son fils Lucas. Sa fille Juliette a posé avec un balai pour les dessins qui montrent Rose tenant un fusil.
Cet album est une réussite. Je n'avais plus lu Lucky Luke depuis mon enfance et Blutch me redonne aujourd'hui envie de relire ceux de Morris et Goscinny. Je commence à perdre toute objectivité quand il s'agit de cet auteur, j'en suis bien conscient, mais il donne tellement de plaisir à la lecture, quel que soit le sujet ou la forme qu'il choisit pour s'exprimer.