Petit Rouge

Environnement toxique - Kate Beaton

05/07/2024

TAGS: beaton, bd

L'histoire démarre au Cap-Breton, une région pauvre du Canada que tout le monde quitte pour trouver un emploi. Kate se retrouve acculée sous le poids d’un prêt étudiant et l’absence de perspectives professionnelles épanouissantes, après avoir obtenu une licence en sciences sociales. Elle quitte sa région à l’âge de 21 ans pour travailler dans une entreprise d’exploitation pétrolère en Alberta. Elle se retrouve dans un environnement très majoritairement masculin et y subit rapidement du harcèlement sexuel de la part de nombreux collègues.

Hé ! Ça te dit un plan à trois ? (Un mec en voiture avec trois collègues)
Vous êtes quatre. Vous avez tout ce qu’il vous faut (Kate)
Salope. Grosse pute ! (Le mec)

Kate Beaton énumère avec sang froid les avances graveleuses de mâles dominants frustrés, parfois même à la limite d'être des prédateurs sexuels, qui vivent une misère affective abyssale dans ces zones quasi désertique et glaciales du Canada. Elle se retrouve même en décalage avec les quelques femmes présentes, qui doivent leur survie à une soumission à ce pouvoir masculin. Mais elle se fait néanmoins quelques amies, tout aussi effarées qu'elle sur le sujet:

J’étais invitée par un mec. Je me suis dit, pourquoi pas. Mais j’arrive là-bas… et c’était bourré de types… avec leurs femmes achetées sur internet. (Rosie)

Un soir lors d’une soirée elle se fait piéger par un mec qui la viole après lui avoir fait boire de l'alcool. Elle refoule un temps cet épisode, mais ses souvenirs lui reviennent et éclate en sanglot auprès de sa sœur. Cette dernière lui avoue avoir été elle aussi violée par le passé. Mais le harcèlement incessant qu'elle subit n'est pas le seul sujet d'exaspération qu'elle expose dans cette bande dessinée: elle profite de cette occasion pour vilipender toute l'industrie des sables bitumineux, qui apparaît être une vaste supercherie écologique, avec des conséquences absolument catastrophique sur la santé des travailleurs. Beaton s'attache d'ailleurs à décrire la détresse psychologique des travailleurs, qui frôlent constamment la dépression et utilisent massivement de la cocaïne pour tenir le coup. J'ai trouvé ce sujet très bien amené par l'auteur, qui laisse généralement parler les faits plutôt que de s'investir dans des commentaires critiques personnels.

Le dessin est agréable: il est très lisse, ce qui accélère la lecture. Il est aussi amusant de voir Beaton développer son talent artistique au cours de son expérience dans l'industrie. La deuxième moitié de la bande dessinée lui donne l'occasion de présenter les prémisses de sa réorientation artistique, elle qui semble se chercher professionnellement tout au début du recueil. J'ai donc été conquis par cet ouvrage, qui est un témoignage actuel sur la condition féminine dans sa globalité. Kate Beaton est une autrice que je vais suivre avec intérêt dans le futur.