Petit Rouge

Jimmy Tousseul - Daniel Desorgher et Stephen Desberg

04/07/2024

TAGS: desorgher, desberg, bd

Je reviens périodiquement sur cette bande dessinée de ma jeunesse qui m’a donné un aperçu de l’Afrique coloniale. Il y avait un parti pris antiraciste qui m’avait beaucoup marqué à l’époque. Comment vais-je aborder cette relecture et appréhender ce point de vue, plusieurs années après ? Il y avait aussi cette idée d’un héros d’album franco-belge 48CC un peu ringard, tendance gros nez, est-ce justifié ?

Cette série débute fin des années 80, avec une parution en 1989 pour le premier album. L’histoire débute avec Schatzenbaum. Pourchassé par la police pour trafic de drogue, il finit en prison. Celle de Jimmy débute en 1961. Il vit chez son oncle et sa tante. Il rêve d’Afrique, là où ses parents ont vécu jusqu'à leur mort. Un nouvel élève débarque d'Afrique dans l'école de Jimmy: Napoléon M’Boula. Ils deviennent rapidement amis, mais son père subit le racisme et décide de quitter la Belgique. Jimmy Tousseul rencontre Schatzenbaum et quitte lui aussi sa tante pour visiter ce continent qui le fait tant rêver. Schatzenbaum est à la recherche d’une araignée mystérieuse: un « ignifus spongei ». Jimmy souhaite aussi élucider le mystère sur la mort de ses parents. Il n’en garde qu’un seul souvenir: un petit serpent d’ébène qu’il a arraché à l’un des meurtriers de ses parents.

Ma boutique se trouvait au cœur du quartier arabe, misérable échoppe d’épices frelatées où se cachait le plus redoutable débit de came de tout l’est africain… (Schatzenbaum)

Dans « L’atelier de la mort », Jimmy tente de découvrir qui sont les meurtriers de ses parents. Il croise la route de certains d’entre eux qui lui disent que c’est Van de Wijngaert qui en est le responsable. Il se trouve qu’il est aussi à la recherche de l’atelier de la mort, l’endroit secret où les rares araignées peuvent être trouvées. Ces araignées contiennent un poison indétectable et se monnayent très cher sur le marché noir. Et elles sont aussi prisées pour invalider la thèse évolutionniste de Darwin au profit de celle de Lamarck. Van de Wijngaert finit laissé pour mort au milieu des araignées. Jimmy en ressort sain et sauf, sauvé par Hermann, le lion de Schatzy.

Petite imbécile ! Il sera temps que tu saches que les femmes, c’est comme les noirs: c’est fait pour se taire et obéir ! (Max Blanpain)

Dans « Le crépuscule blanc », Jimmy aide Napoléon à trouver l'assassin de son père, devenu entre-temps président, qui a voulu s’affranchir du pouvoir blanc. Napoléon tue Blanpain le colonialiste pour sauver Jimmy d’une mort certaine. Blanpain révèle à Jimmy que son père est encore vivant. Les auteurs insistent dans cet album sur le droit africain à l'autodétermination. Ils mettent en avant les préjugés sur les noirs et les démontent. Il y a un parti pris des auteurs de confronter l'Afrique sous développée à l'Europe du progrès, avec beaucoup de subtilité.

Dans "L'homme brisé", Jimmy est à la recherche de son père. Il profite d'un séjour en Grèce pour aller à Istanbul avec son amie Hélène. Il y retrouve la trace de son père via un de ses amis. Mais il recroise de nouveau Van de Wijngaert, qui kidnappe Hélène. Sauvé par Kott , l'ami de Schatzy, dans les bas-fonds de la capitale turque, il file en avion vers l'Afrique pour sauver Hélène. Il découvre que son père est un alcoolique qui a été employé par Van de Wijngaert et les coloniaux pour extraire de l'uranium. Van de Wijngaert est abattu par le père de Jimmy, qui allait tirer sur son fils.

Dans "Le Royaume du léopard", Jimmy et Schatzy se font malmener par des hommes léopards, de mystérieux sorciers. Après de longues investigations, on découvre que le commanditaire des assauts envers Jimmy n'est autre que Rémy, le frère métis de Jimmy. Il souhaitait se venger pour ne pas avoir été le fils préféré de son père. Il s'échappe et tout rentre dans l'ordre.

Dans « La loi du solitaire », Jimmy va à l’école africaine et rencontre la jolie Lana et le méprisant Valentin. Ce dernier organise une chasse au buffle, qui tourne mal. Blessé par un buffle solitaire, Jimmy et Lana sont sauvés in extremis par le père de Valentin. Ensuite, dans « Le masque de l'esclave » Jimmy et Lana vont à l’aide d’un archéologue rechercher le masque de l’esclave, contre le père de Valentin qui est un descendant des Lobi, un peuple ayant participé au trafic des noirs.

Qui donc avait dû dire à ce roi des Mala que le temps était déjà venu pour l’Afrique d’être civilisée ? (Martin Jacobs)

Je vois derrière cette précédente citation un refus du progrès occidental. L’occident n’avait pas à faire la loi en Afrique et devait laisser ce continent maître de son destin.

Le « désespoir des esclaves », ça pourrait signifier beaucoup de chose, vous savez, c’était le bout de la piste, ici, pour tous ! Après c’était le bateau, l’exil définitif ! Dieu sait combien de milliers et de milliers sont arrivés par ce maudit chemin, arrachés à leur terre, à leurs forêts…

Dans « Le visage de Dieu », Lana emmène Jimmy voir un sorcier. Elle attend de lui une demande en mariage. Il s’enfuit et rejoint Schatzy car un volcan entre en éruption. Ensemble ils sauvent un village entier, qui allait être noyé sous la lave. Ils doivent aussi sauver des archéologues qui recherchent le visage de dieu, une sculpture antique considérée comme la première représentation divine. Ils finissent par la trouver mais la tête en a été sectionnée. Elle n'était pas loin et révèle que Dieu a un visage noir, ce qui déplaît au chef des missionnaires. Une secousse sismique finit par ensevelir ce dernier.

Dans « Les fantômes du passé », Schatzy reçoit la visite de sa femme Louisa, qui lui réclame de l’argent. Lui et Jimmy se démènent pour tenter de rembourser cette dette. Ils croisent des trafiquants de drogue, qui en échangent contre des diamants. Une fois les trafiquants mis hors d’état de nuire, ils réussissent à rembourser Louisa. Mais ils en récupèrent automatiquement la mise, car elle se fera attraper pour exportation illégale de diamants à la frontière.

Dans « La vengeance du singe », Jimmy et Schatzy viennent en aide à Hermann, qui est attaqué par un vieux rival: un singe blanc dont il manque une main. Hermann l'avait amputé de nombreuses années auparavant. Le lion de Schatzy s'est aussi enfui pour protéger sa lionne enceinte.

Dans « Les mercenaires », Jimmy fait face à une bande de mercenaires dirigés par Roc Henrard. Ils sont missionnés par Kabeya, le père de Suzy, pour fomenter un coup d’état, qui réussit. Les blancs sont évacués du pays, leurs maisons pillées. C'est le chaos et Jimmy doit se démener pour s'extraire d'une population en colère contre les blancs.

Comment certains ont-ils pu s’imaginer que nous laisserions éternellement échapper le cuivre, l’or et les diamants dont des traités ridicules avaient voulu nous priver ? Avec Kabeya et ses pareils, tous aussi assoiffés d’argent, il y aura toute la place pour nos banquiers et nos industriels. (Un ambassadeur néocolonialiste)

Jimmy, Suzy et Schatzy embarquent in extremis dans un avion et quittent l’Afrique.

Dans « Au revoir Jimmy », dernier tome de la série, les mercenaires sont à la recherche de Suzy. Kott, qui a reçu des instructions d’en haut, trahit Jimmy et Schatzy et la récupère. Mais les deux amis décident de retourner en Afrique la sauver, alors que la résistance s’organise. Schatzy retrouve Hermann, Jimmy retrouve Suzy. Ces derniers s’enfuient ensemble dans un pays en tourment. Schatzy décide de rester en Afrique. Il y a des morts dans les deux derniers ouvrages de la série, ce qui tranche drastiquement avec les précédents albums, plus insouciants.

Il y a beaucoup de péripéties dans les douze tome de la série. L'aventure de Jimmy permet aux auteurs d'aborder différents thèmes: la colonisation, le racisme, la nature du lien familial. La petite histoire familiale s'entremêle dans la grande histoire de l'Afrique: Schatzy doit voir en Jimmy le fils qu’il n’a pas eu. Et à l’inverse, Jimmy voit en Schatzy une figure paternelle qu’il n’a jamais connue non plus. Le tout dans un contexte post colonial délicat. L'histoire dans sa globalité accroche le lecteur. Mais les dessins par contre ne sont pas fous. C’est une ligne claire parfois hésitante, tendance gros nez. Le propos est cependant humaniste et pédagogique, et donc très formateur pour de jeunes lecteurs. A relire dans quelques années ?