Petit Rouge

La femme potiche et la femme bonniche - Claude Alzon

06/06/2024

TAGS: alzon, essai

Sous-titré « Pouvoir bourgeois et pouvoir mâle ». Essai de 1973 paru dans la petite collection Maspero.

Le capitalisme pourtant a eu sur le sort de la femme des effets mitigés; comme Engels lui-même l'a, reconnu, s'il a considérablement aggravé la situation de la femme au travail, il a en même temps, bien involontairement d'ailleurs, été à l'origine notamment de sa libération sexuelle, qui continue de s'accomplir sous nos yeux. En se livrant à une telle falsification de l'histoire, le P.C.F. a bien entendu un but précis. Faire du capitalisme le grand, presque le seul responsable de la « misère féminine », c'est désigner à la femme comme son seul ennemi, non pas l'homme, son oppresseur de toujours, mais la bourgeoisie. C'est par conséquent orienter et dévoyer son combat vers un objectif qui est celui de l'homme et qui n'est le sien qu'en partie seulement : la suppression des rapports de production capitalistes. Les associations féminines deviennent ainsi une simple force d'appoint dans la lutte menée par les syndicats et les partis «ouvriers» ou prétendus tels.

L'essai démarre par une critique du PCF, qui semble éluder l’oppression millénaire de la femme par l’homme. Ce qui, d'après Alzon est pourtant contraire au marxisme orthodoxe. Je n'ai pas compris, à cet instant précis de ma lecture, où il voulait en venir.

Bref, la bourgeoise n'est rien d'autre qu'un objet inutile et coûteux. C'est le triomphe de la femme potiche. Une potiche que les femmes du peuple ne jalouseraient pas tant si, au lieu d'en contempler les formes, elles en connaissaient les fêlures.

L’une envie l’autre. Car pour Alzon, la femme des ménages populaires travaille quasiment gratuitement pour son mari. Ce qui allonge considérablement sa journée de travail par rapport à celui-ci. Il l’exploite et profite gratuitement d’une partie du travail de sa femme. Pour Alzon, le problème de la femme est essentiellement économique, à la fois chez la bourgeoise et la prolétaire.

C'est que nul ne veut la libération de la femme, ni les hommes dans leur ensemble, coalisés par égoïsme, ni la bourgeoisie, qui impose ses intérêts de classe, ni la classe ouvrière qui, dans ce domaine comme dans bien d'autres, se les laisse imposer.

Alzon appelle le lecteur à prendre de la hauteur: il propose de dépasser le système de classe pour une critique globale d'un système d'oppression. Cette limite du marxisme est une des raisons pour laquelle la femme reste soumise, malgré des exemples d'émancipation de celle-ci lors de la révolution bolchevique, qui seront exposés plus loin dans l'essai.

Le marxisme, en effet, a toujours raisonné, quoi qu'on en dise, comme si l'exploitation et la mentalité qui en découle étaient le propre des classes possédantes. En réalité, l'exploitation n'est pas le propre d'une classe, mais d'un système.

La supériorité de l’homme est donc sapée lorsqu’une femme trouve un travail. C’est ce système qu’Alzon dénonce. Il constate une injustice, évidente à nos yeux contemporains, dans le fait que la femme gagne moins que l’homme. Ce qui lui impose une surcharge de travail pour compenser ce manque. J'y ai recoupé un élément de lecture récente avec la distinction de travail inutile et utile faite par Graeber dans "Bullshit Jobs".

L'homme ne peut pas faire de sa femme une camarade de combat sans remettre en cause sa domination sur elle.

Plus la femme entre dans le système productif, plus elle menace le « pouvoir mâle ». C'est à partir de cet instant que je comprends la première section de l'essai et la critique du PCF qu'effectue Alzon. L'hypocrisie communiste y devient plus évidente. Et l'éducation populaire visant à l'émancipation de l'être humain n'est ainsi pas possible pour la femme dans ce système. Alzon remarque donc que la femme est magiquement dominée par l'homme dans chaque classe. Il l'explique ainsi:

Par là l'homme retarde l'émancipation de la femme et cela dans tous les domaines, sans exception. Car comment voulez-vous que les femmes lisent, quand on leur en ôte le temps; qu'elles s'intéressent, quand leur travail ne leur donne goût à rien; qu'elles espèrent, quand on leur interdit toute promotion; qu'elles s'obstinent, quand on les abrutit de fatigue et de soucis ? Ainsi le travailleur est-il mû par les mêmes préoccupations que le bourgeois : sauvegarder à tout prix sa domination dans le couple. Mais, tandis que l'un achète à prix d'or la docilité de la femme par son oisiveté, l'autre, qui ne possède rien, l'abêtit sous le poids des tâches les plus éreintantes et les plus viles.

S’ensuit un exemple intéressant d’émancipation de la femme en Russie après la révolution soviétique. Cela a été mal conduit par les bolcheviques, ce qui a amené une pagaille qui les ont amené à rétropédaler. Avec l'arrivée de Staline au pouvoir, c’est le retour à la case départ. Pour Alzon, seul un socialisme authentique est susceptible de libérer la femme. Mais il admet aussi que l’abolition du patriarcat par quelque moyen ne changera pas immédiatement les mentalités. Il lui semble donc indispensable de rééquilibrer progressivement l’attribution des tâches ménagères et parvenir à l’égalité des salaires.

Cette courte lecture est un joli prototype des développements féministes à venir. Cela semble pourtant un peu désuet d'avoir cette lecture marxiste de la place de la femme dans la société, avec notre regard moderne. Car il y a, comme dans "La mort de Pygmalion", ce jargon qui semble aujourd'hui un peu ringard. Il y a pourtant quelque chose d'essentiel dans le fait de remettre la lutte sociétale des femmes dans son contexte social. Ce qui semble s'être inversé aujourd'hui. Malgré la désuétude de l'approche, cette lecture n'en reste pas moins intéressante, car elle permet au lecteur de ne pas se tromper dans le sens de lecture de la grille de domination de l'homme sur la femme.