Petit Rouge

La plaine du Kantô - Kazuo Kamimura

05/04/2024

TAGS: kamimura, bd, manga, japon

Cela faisait un bon moment que j’avais ce manga en stock. Le style si particulier et si fin de Kamimura m’avait presque manqué. Il raconte l'histoire de Kinta, un jeune garçon orphelin dont le grand-père a recueilli un aviateur américain dans un Japon rural qui vient tout juste de perdre la guerre. Kinta croise la route de Ginko, un garçon qui se fait passer pour une fille et s’est toujours sentie comme telle. Sa mère vient de se faire assassiner lors d'une séance de sexe sadomasochiste. Le ton est donné: Kamimura raconte sans tabous l'enfance loin d'être insouciante de ces deux enfants. Mais pour autant, la poésie est partout pour cet auteur, chez les paysans et la nature.

Quand on me demande pourquoi j'écris des gekigas, j'ai envie de répondre : "Parce que j'ai envie de peindre des paysages." Parce que je suis persuadé que ce qui marque le plus une personne, ce ne sont pas tant ses expériences passées que les paysages dans lesquels elle a vécu. Mon horizon, c'est ma jeunesse passée dans ce coin reculé de la plaine du Kantô. (Kazuo Kamimura)

Le grand-père de Kinta décédé, il est recueilli par un ami de la famille et quitte la campagne du Kantô pour Tokyo. Ce père de substitution est un peintre de bondage moustachu, Yanagawa Ôgumo, qui prend pour femme une prostituée. Kinta perd sa virginité avec une de ses amies prostituée. Il fait l'expérience de la sexualité sous toutes ses formes et tombe amoureux d’une collègue de classe. Ginko, qui a commencé à travailler dans un bar à travestis, retrouve Kinta à Tokyo.

Même pour naître, je n’ai pas demandé l’aide de ma mère ! Je suis sorti de son ventre par mes propres forces ! (Yanagawa)

Le deuxième tome de la série décrit l'adolescence de Kinta. Il semble lassé de traîner avec autant de pervers. On le voit grandir et développer une certaine amertume au fil du temps. L'amour et le sexe le déçoivent, il devient mélancolique. Graphiste dans une agence, il peine à trouver pleinement sa voie.

Il est des hommes et des femmes qui s'attachent à sublimer le sexe en l'élevant au rang d'art. Il est aussi des odeurs de sexe qui, quoi qu'on fasse, ne veulent pas partir. (Kinta)

Le troisième tome voit Kinta tenter de développer son talent artistique. Ayant trouvé un travail en tant que graphiste, et sous l'influence de Yanagawa, il se met lui aussi à peindre. Il semble à la fois blasé par son entourage mais retrouve parfois de l'intérêt à la vie en se retrouvant tout simplement émerveillé par un arbre en fleur, qu’il peut décider de peindre. Reste que Kinta éprouve un dégoût de la perversion, qui se manifeste notamment chez Yanagawa. Je trouve d'ailleurs bien étrange ces japonais qui acceptent, voire glorifient, la culture du viol…

A-t-on déjà vu un homme ne pas prendre son pied pendant un viol ? (Yanagawa)

Kinta croise la route de la belle Kyoko. Mais il décide rapidement de la fuir, car il la sent dangereuse pour lui. Il tombe pourtant amoureux d’elle, mais son instinct de préservation le pousse à la fuir. Il lui est impossible de s'abandonner à l'amour.

Je dois la quitter avant qu’elle ne me jette. Je dois fuir avant qu’elle ne me détruise. (Kinta)

De son côté, Ginko est amoureuse de Kinta depuis si longtemps qu’elle a du mal à accepter qu’il puisse se marier ou avoir des enfants avec quelqu'un d'autre qu'elle. En tant que personne homosexuelle elle devient de plus en plus amère.

Les gens comme moi ne peuvent pas envisager de mener une vie pareille. (Ginko)

Ginko décide de quitter Tokyo pour Osaka. Elle a trouvé un bar gay dans lequel travailler et fait donc ses adieux à son ami d’enfance Kinta, qui a toujours été son ami le plus fidèle. Ils s'embrassent pour la première et dernière fois. Les deux amis se séparent en pleurant l'un et l'autre.

Focalisé que je suis sur ces trous de nez, j’ai une forme de sexualité aiguisant en moi le désir d’éjaculer dedans. (Kamimura)

Cette dernière citation explique pour beaucoup le caractère scabreux du manga pris dans son intégralité. Il y a un goût de l'étrange totalement assumé dans cette œuvre. Le dessin n'est pas toujours réussi, mais il y a pourtant ce style si caractéristique de Kamimura qui me plait malgré tout. Paru au Japon en 1976, ce manga aborde des thèmes quasiment novateurs, comme la transsexualité et l'homosexualité. Il y a un respect de Kamimura pour les formes les plus inédites de la sexualité. Il aborde des des questions de genres et parfois de perversion, que l'on peut retrouver chez Crepax. Mais il a malgré tout une vision de la femme qui est un peu rétrograde. Malgré une certaine ouverture d'esprit, elle semble toujours dépeinte sous une forme négative. Reste que la sensibilité de Kamimura me plaît toujours autant, et que je continuerai à explorer son œuvre dans le futur.