Petit Rouge

Lettre américaine - Blutch

01/03/2024

TAGS: blutch, bd, autobiographie

Quand je dessine je me sens partout chez moi

Cette lettre dessinée à l'intention de sa bien aimée permet à Blutch de décrire un séjour à New York en 1994. Dérouté par le contraste entre sa récente virée sur l'île de Groix en sa compagnie et la mégalopole qu’est New York, Blutch rédige cette lettre au jour le jour. Il y relate ses balades, ses observations, ses concerts de jazz au Village Vanguard ou autres salles mythiques. Ce journal de bord élégant est un commentaire personnel sur la ville en elle-même, mais elle est surtout teintée de remord envers sa compagne. L'auteur culpabilise d'être parti sans elle. Blutch a un destin d'artiste qui semble passer avant tout et avant elle.

Entre nous, la séparation est une drôle d’habitude

Le dessin mérite qu’on s’y attarde. Il appelle à une lecture attentive des détails. Intégralement monochrome, excepté une affiche pour un concert de jazz, j'ai pourtant trouvé le dessin parfois grossier. Mais il y a néanmoins de la maîtrise dans sa gestion de l'encrage, une certaine idée de l'esthétisme et globalement un talent inné pour la mise en situation. On est embarqué dans son voyage, dans ses élucubrations et son dilemme amoureux. Blutch a ses fulgurances, qu'il verbalise comme suit:

Ce journal n’était pas un projet mûrement prémédité. Sa structure interne n’a pas été solidement élaborée. Il ne se veut pas exhaustif. Il est juste sorti comme ça. Pour toi. Peut-être pour les autres. J’espère que sa lecture n’est pas ennuyeuse. Voilà.

J'ai été, comme toujours avec lui, transporté à New York et j'ai fortement ressenti l'état amoureux dans lequel il baigne tout au long de sa lettre. Il y a un certain romantisme dans celle-ci. Quelque chose d'assez obsolète aussi dans cet échange épistolaire à l'heure des réseaux. Blutch pense constamment à sa compagne, mais ne peut pas contrer l'urgence de sa démarche artistique. Il est tiraillé entre la séparation et la concrétisation du projet d'une vie. Cette relation, qui semble aussi complexe que son œuvre, semble presque conflictuelle:

Je me souviens qu’en montrant tes cheveux blancs, tu m’as dis: « c’est à cause de toi, ceux-là »

Paru chez Cornelius en grand format, cet ouvrage assez confidentiel dans l’œuvre de l'artiste se lit rapidement. Je ne suis plus très objectif, mais j'ai encore une fois été conquis par cette lettre américaine que je conserverai précieusement dans ma bibliothèque.