Petit Rouge

Aboriginal Myths: Tales of the Dreamtime - A.W. Reed

03/02/2024

TAGS: reed, contes

Je suis fasciné par les aborigènes depuis tout petit. Ce peuple est l’un des plus anciens sur Terre. Mais hormis la légende de Kondole (découverte via l’album éponyme de Psychic TV), je dois avouer que j’en connais peu les mythes fondateurs. Reed propose une distinction entre légende et mythe dans son introduction. Le mythe s’attache à décrire un panthéon de dieux qui décrivent des phénomènes, et c'est sur ce point qu'il consacre son recueil.

J'ai toujours eu le sentiment que les Maoris étaient en phase avec la nature, clémente avec eux, et que les Aborigènes évoluaient davantage dans un univers plus hostile. Mais pour autant, les premiers mythes témoignent d'une adéquation parfaite avec la nature. Dans le mythe de création, l’aborigène est créé par un Grand Esprit, comme par exemple Baiame. Il crée les animaux mais défend l’homme de les manger. En défiant ce précepte, l’homme aborigène fait lui-même l’expérience de la mort. Le Grand Esprit s’exprime parfois indirectement à l’homme à travers des animaux. Les mythes racontés ici sont tellement anciens qu’il est presque difficile d’en comprendre la signification. Cela rend l'ouvrage intriguant.

But Baiame is wise with wisdom beyond that of men. He knew that good can come from evil, that knowledge is born of suffering, and understanding is the child of experience.

Les humains qui désobéissent à Baiame se font souvent transformer en animaux. C'est une constante dans le recueil: la métamorphose est au cœur des mythes fondateurs aborigènes. L'être humain ou l'animal apparaissent comme étant polymorphes et peuvent se transformer l'un vers l'autre selon les circonstances. Les Grands Esprits ont un mode de fonctionnement qui semble arbitraire: parfois bienveillants et miséricordieux, parfois plus véhéments envers leurs créatures. Il y a quelque chose qui me rappelle la réincarnation bouddhiste. Ce n'est pas exactement le cas, car la métamorphose n'intervient pas systématiquement après la mort, mais l'idée de quelque chose de proche du concept de karma m'a frappé dans ces histoires.

So, on that day, the All-Father who loves his children and sees that justice is done, created Bullai-bullai the Parrot, Weedah the star, Beereeun the Lizard, and Goolay-yali the Pelican.

Baiame semble toujours déçu par les humains, même s’il leur accorde la tendresse du créateur. L'être humain qui le déçoit finit souvent transformé en animal, là où sa place semble plus adéquate. Les femmes prennent toujours un peu plus cher que les hommes, ce qui ne me surprend qu'à moitié. Mais est-ce Reed qui relate par exemple le point suivant ou s’agit-il d’une transcription fidèle de la légende ?

And who shall blame him - for have not the wisest of men been deceived by women, and forgiven them, only to find that their words were like a ripple on the water that dies away as quickly as it comes?

Je me demande si ce n'est pas Reed au final, car les aborigènes mettent le féminin en très haute place dans les mythes fondateurs. Yhi la déesse du soleil aurait créé Baiame. Le grand esprit originel est une femme. Baiame n'est que son bras droit. Il a créé toute vie sur Terre dans l’obscurité.

In the Centre the primal cause of creation was believed to be the goddess of the sun. Not the sun itself, but the spirit of the sun, the Great Spirit, the Mother, richly endowed and fecund, but yet spirit, whose power was manifested in thought and, through other agencies, in action. According to the wisest men, the agency through which she worked before her departure was one known variously as Baiame, Spirit Father, or All-Father.

Je craignais voir mon idéal aborigène pacifique et en phase avec la nature déconstruit, mais il n'en est rien. Il y a vraiment quelque chose de très singulier chez eux, qui me fascine d'autant plus à la lecture de ces mythes. Reed nous rappelle que le Temps du Rêve fluctue en permanence, et que la création de l’être humain change avec les générations, qui se transmettent les mythes au fil du temps. C’est à la découverte du feu, qui illumine toute création, que Punjel le subalterne de Baiame réalise à quel point le travail mené par celui-ci est fantastique. Une fois le jour créé, la nuit sert à refroidir les corps et mettre en avant les étoiles. Punjel sera responsable d’accumuler suffisamment de bois pour que Baiame puisse allumer le feu du jour. Il y a donc une imagination incroyable chez ce peuple pour tenter de comprendre le monde environnant.

La première partie de ce recueil est consacrée au Grand Père (Great Father). La deuxième se charge de décrire certains des ancêtres totémiques. La troisième et dernière partie s’attache à décrire certains mythes de création. Il y a de nombreuses raisons qui expliquent la création des êtres humains aborigènes et des animaux. Autant qui évoquent leur mort, dont l’expérience et son mystère sont d'abord vécus par les animaux. Il en est de même pour la découverte du feu. Toutes ces étapes des débuts de l’humanité qui transforment l’être humain et l’animal.

There are two stages or orders of creation-the activities of the Great Father Spirit who is eternal, omnipresent, and omnipotent; and the totemic ancestors who are equally eternal, recreating themselves in spirit form in the bodies of animals and human beings who retain the mystical animal qualities inherent in the ancestors.

On retrouve dans les mythes de création cette idée que le féminin est tout puissant. Est-ce parce que la femme apporte la vie ? Je retrouve aussi dans la citation suivante, l'idée que l'homme est porteur d'obscurité, de noirceur:

The sun is invariably regarded as female in Aboriginal legends, just as the moon is always masculine.

Je n'ai pas toujours trouvé ces mythes très bien retranscrits. J’ai buté sur certaines formulations, et Reed intercale aussi des commentaires en plein milieu d’un conte qui cassent un peu la dynamique de l’histoire. Mais ils sont pourtant bienvenus à chaque début de partie pour situer le contexte. J’ai commencé à décrocher ma lecture sur la dernière partie. J'ai donc légèrement inachevé cette lecture, en ayant allègrement survolé les derniers mythes de création sur les trente dernières pages. Mais cette introduction aux mythes aborigènes m'a pourtant réjouie. Il n'y a pas chez Reed ce côté hautain de l'anthropologue qui étudie méthodiquement une espèce perçue comme primitive. Est-ce parce que Reed est néozélandais ? Cela aurait tendance à me rassurer, vu ma méfiance et mon mépris viscéral envers les colons australiens, qui n'ont pas su voir comme Reed l'originalité d'un peuple qui ne finira pas de m'émerveiller...