Qui… qui êtes vous ? (Evey Hammond)
Moi ? Je suis le roi du vingtième siècle, le croquemitaine, le vilain… la honte de la famille. (V)
Un mystérieux justicier s'intercale entre des miliciens et une jeune femme désespérée qui souhaite se prostituer pour survivre dans un Londres crépusculaire. Ses interventions, dont la destruction du parlement de Westminster vont rapidement attirer l'attention des différents organes de l'état fasciste qui contrôle la population: l’œil, l’oreille, la main, le nez, la voix. Ces branches ont été déployées après une guerre thermonucléaire, qui a épargné le Royaume-Uni, mais ne lui a pas évité le chaos: le groupuscule Feu Nordique s'est emparé du pouvoir et y a instauré le fascisme...
Mais il n'y avait plus de gouvernement. Juste des gangs qui voulaient se faire un territoire. Finalement, en 1992, certains agirent... Ce furent tous les groupes fascistes, l'extrême droite. Ils s'étaient réunis, organisés sous la bannière 'nouvel âge', avec l'aide de quelques grandes sociétés qui avaient survécu. (Evey)
Le pays est dirigé par Adam Susan, le commandeur fasciste, qui prend ses décisions à l'aide d'un ordinateur appelé le Destin. Cette intelligence artificielle ne permet pourtant pas d'anticiper la vengeance de V, qui s'en prend méthodiquement aux différents chefs des organes cités plus haut. V a subi l'horreur du camp d’internement de Larkhill, qui emprisonnait et torturait les étrangers, homosexuels et autres personnes considérées comme nuisibles pour la société par les fascistes. Il se venge dans un premier temps du commandant Prothero qui y faisait sa sale besogne d’inspection des détenus. Les plus coriaces d'entre eux étaient cloitrés dans une section spéciale: V était l’homme de la chambre numéro V, et s'en est mystérieusement échappé après avoir subi des traitements expérimentaux et sadiques du même acabit que ceux qu'infligeait Josef Mengele à Auschwitz.
Plus encore, Evey. La vie est un théâtre... Une grande illusion. Et je vais casser la baraque. (V)
V apparaît toujours masqué, et semble vouloir inscrire ses actions dans une scénographie savamment orchestrée. Son éloquence est constamment truffée de références à une culture anglaise censurée et oubliée par la population. Il éduque Evey aux principes de l'anarchie et à cette culture perdue qui prône la liberté. Ayant réussi à la convertir à sa cause, et grâce à des moyens très discutables, V dézingue le prêtre pédophile en l'utilisant comme d’appât. Il élimine tous ces anciens tortionnaires et sème la panique chez les fascistes.
La guerre a mis fin aux libertés (Adam Susan)
Le commandeur développe un étrange amour envers l'ordinateur du Destin, jusqu'à en perdre progressivement les pédales. Et se fait finalement assassiner par une femme en détresse. Cette manipulation n'est-elle pas due aux agissements de V, qui a un accès direct à l’ordinateur du Destin ? Cet accès lui donne plusieurs coups d’avance sur les fascistes et explique pourquoi sa vengeance se déroule sans accroc du début à la fin. Il se fait pourtant blesser, jusqu'à en mourir, à la toute fin du récit. Evey, dont l'éducation libertaire est achevée, reprend le flambeau de V en s'appropriant son masque.
Les flammes de la liberté, si belles, si justes… Anarchie, joyau de mon cœur (V)
V se revendique anarchiste. Mais il a pourtant des pratiques bien louches. Il est devenu fou à Larkhill, et bien que mû par la liberté et la justice, ne fait-il pas l'apologie du terrorisme ? Evey, prenant le relai à la mort de V s'adresse aux londoniens, et leur offre une possibilité de changement: le choix d'une vie libre leur appartient. Evey semble refuser la violence meurtrière de V. En laissant le peuple s'autodéterminer, Moore indique à travers elle que la liberté est un choix.
Nos maitres n'ont pas entendu la voix du peuple depuis des générations, Evey... Et elle est bien plus puissante qu'ils ne veulent s'en rappeler. (V)
Les dessins sont vraiment pas fous. C’est une habitude avec Moore: je ne comprends pas toujours comment il choisit ses collaborateurs tant ses choix graphiques me semblent douteux. Excepté « From Hell » (et éventuellement « Promethea ») je trouve généralement le dessin pas au niveau de ses histoires. Il y a un côté terne et vraiment désuet dans celle-ci. Et cela rend surtout la lecture difficile: les textes dans les phylactères sont très petits. Mais il y a pourtant quelque chose de notable dans le dessin: les changements de perspective sont flous, le contraste des vignettes fait que les histoires des fascistes et de V s’entremêlent. Est-ce bien volontaire de la part des auteurs ? Cela pour signifier que les extrêmes ont un point commun ? J'ai longuement hésité sur la vision libertaire de Moore, qui me semble assez naïve. Les valeurs qu'il défend sont justes, mais le moyen d'y parvenir à travers le terrorisme me semble bien spécieux. Mais connaissant quand même un peu Moore je me rassure en me disant qu'il souhaite surtout nous questionner sur ce point: quel prix sommes nous prêts à payer pour être libre ?
La révolution n'est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s'accomplir avec autant d'élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d'amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d'âme. La révolution, c'est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre. (Mao Zedong)
Parue entre 1982 et 1989, cette bande dessinée mal aimée les premières années est évidemment devenue depuis le phénomène de société que l'on connait, revigoré via le mouvement des Anonymous qui arborent eux aussi le masque de Guy Fawkes utilisé par V. Il y a évidemment quelque chose d'assez sombre dans l'histoire, ce que le dessin très encré amplifie largement. En faisant référence à divers éléments culturels, à la fois littéraires (1984, évidemment) ou populaires (Robin des Bois par exemple), Moore donne un souffle de liberté dans une contexte d'époque qui amène au pessimisme. Mais malgré cela, ne l'est pas lui aussi devenu ? Je retranscris, pour finir, les dernières phrases de sa préface:
J'en viens à souhaiter quitter le pays dans les deux ans. Il est devenu froid, mauvais, et je ne l'aime plus tellement. Bonne nuit à l'Angleterre. Bonne nuit à la pop et au V de la Victoire. Bonjour à la Voix du Destin, et à V POUR VENDETTA. (Alan Moore, mars 1988)