Chopé dans une boîte à livre, j’ai été intrigué par le dessin faussement ligne claire qui m'a rappellé Joost Swarte. Initialement parue aux éditions Art Moderne en 1986, et aussi mensualisée sous forme de série dans Rock & Folk, on suit dans cette bande dessinée les aventures de Moses Viders. C'est un grand mec baraqué, un "funkateer" qui évolue dans un New York insalubre et dangereux Ceux-ci doivent éviter le liquid, une substance toxique qui tombe du ciel comme la pluie, au risque de se retrouver dépendants et à la merci des K-9 cops, des vigiles aux allures de brutes.
Les K-9 cops étaient les street-masters. Ils contrôlaient les entrées des buildings et avaient profité des fréquentes chutes de liquid pour organiser de véritables rackets...
Moses ne vibre que pour la musique. On ne sait pas trop de quoi il vit, mais court après les fêtes rythmées par la funk. Il est à la recherche d'un vinyle censé ramener la paix à New York: l'ultimate mix, le disque mythique qui serait capable de faire danser tout le monde. C'est le fil conducteur du récit. Mais il n'est pas uniquement question de funk:
Ce trio distillait un cool - jazz lancinant, musique d’un autre temps, porteuse d’images noires qui n’appartenait peut-être plus qu’au rêve ?
C'est donc un hommage à la musique noire, celle qui provoque l'émotion pure et fait danser les gens à l’unisson. C'est un peu naïf, mais touchant néanmoins. Filips et Fonk retranscrivent joliment le caractère positif de ces musiques soul, hip-hop, bluesy ou funky. Mais il y a aussi quelque chose dans le récit qui s'inscrit dans le climat morose des années 80. A savoir un côté "no future" vaguement punk, qui se traduit par un climat oppressant et délabré. Le funk est un prétexte pour renouer avec le "Peace, Unity, Love and Having Fun" d'Afrika Bambaataa, qui fait défaut dans ce futur dystopique, et plus généralement à l'époque de parution du livre où le punk et ses dérivés ont bouleversé le paysage culturel. Est-ce un hasard si Moses doit affronter le comte D’Voïddospunk, chef suprême de la high-society et détenteur de cet ultimate mix ?
Le funk assure notre protection… il est notre seul salut ! L’ultimate mix ne doit pas rester entre les mains de ceux qui font régner la terreur sur la ville !!
Moses Viders s'entoure de ses amis et de la belle et pulpeuse Afrodisia pour mener à bien sa quête. Il traverse les zones les plus déglinguées de New York, dont le métro, qui est devenu le repaire des "liquid-slaves":
Dans certaines stations, des wagons désaffectés étaient occupés par des liquid-slaves rejetés des buildings. Ils trouvaient là un dernier refuge, pour crever lentement… faute de dope… Moses en reconnaissait quelques-uns, visages familiers avant qu’ils ne deviennent esclaves du liquid… Lui s’était toujours tiré de justesse des griffes des K-9 cops… Hélas, il ne pouvait plus rien faire pour eux… Même le funk, antidote de survie, ne les sauverait plus. Non, Moses devait désormais ne plus penser qu’à sa mission !
Afrodisia permet à Moses d'affronter Sir Nose, le DJ personnel du comte D’Voïddospunk, dans une bataille de mix. Ayant réussi à récupérer subrepticement l'ultimate mix, il finit par le jouer sur sa platine vinyle, ce qui a pour effet immédiat de ramener la paix à New York. Tout est bien qui finit bien: Moses a même réussi à conquérir le cœur d'Afrodisia...
Graphiquement il y a donc cette ligne claire produite par Filips, qui est si caractéristique d'une frange d'artistes des années 80, mais moins précise que chez Swaarte ou Chaland. J'ai trouvé la palette de couleurs très bien choisie par contre: elles me rappellent les tableaux de Mondrian sur certaines planches (je pense que c'est volontaire). Il y a aussi parfois des couleurs quasi fluo, très tranchées voire criardes, mais bien trouvées. Les décors ne sont pas en reste: ils sont eux aussi très travaillés. Je pense en particulier aux graffitis, qui contribuent à créer une atmosphère urbaine un peu ghetto à l'ensemble. Le scénario est, comme je l'ai déjà mentionné, un peu naïf et léger. Mais je trouve que ça passe bien, malgré ces petits défauts liés à un excès d'enthousiasme. C'est positif, c'est frais et bien que cette bande dessinée semble complètement tombée dans l'oubli, je suis ravi d'avoir pu la lire.