J'ai récupéré cet ouvrage après avoir découvert les bandes dessinées abstraites de Beauclair dans un article du Comics Journal sur les auteurs formalistes français. Sur un scénario de Lefèvre, les dessins de Beauclair ont ici été mis en couleur par Chaize. Au vu des visuels que j’avais pu observer, je craignais une bande dessinée aux couleurs trop criardes, un peu tape à l’œil. Mais la simplicité et l’élégance du trait de Beauclair m’ont convaincu de donner une chance à l’ouvrage, paru en 2013 aux Éditions 2024 (définitivement l’éditeur à suivre en matière de bande dessinée).
Quasar plie la tangente et file rejoindre ses collègues plieurs pour aider l’humanité à joindre les deux bouts de l’univers.
Pulsar est un scientifique fou devenu destructeur de monde après avoir développé des pouvoirs psychiques, un peu comme l’est Galactus dans les aventures du Surfeur d’argent. Il phagocyte les êtres vivants de chaque planète qu’il visite et les utilise comme fioul pour créer des armées de cyclopes, déployés inlassablement sur d’autres mondes. Quasar est quant à lui membre de la Guildes des Plieurs d'Univers. Fait intrigant, il n’arrive pas à rompre avec toutes les femmes qu’il fréquente: il s’éclipse toujours avant de le faire. Mais au débarquement de Pulsar sur la planète où doit avoir lieu une nouvelle rencontre, sa fréquentation du jour l’accompagne cette fois plus longuement dans l’histoire. Cette femme prénommée Chimène devient son ombre « à vie ». Mais elle déchire l’espace et le temps en aidant Quasar à s’échapper aux membres de la Guilde, qui se sont ligués contre lui au profit de Pulsar. Ce dernier retrouve Quasar grâce à la faille spatio-temporelle créée par Chimène. Mais Quasar le plie jusqu’à en faire un talisman. L’univers est à reconstruire…
Quasar est un antihéros qui se retrouve malgré lui entrainé dans la lutte contre le despote Pulsar. Ils se rencontrent à la fin, pour recréer l'univers, de la même manière que pour un big bang. L'histoire en elle-même n'est pas particulièrement complexe, mais le concept derrière permet des représentations visuelles qui le sont davantage. Et malgré le côté loufoque du vaudeville entre Pulsar, Quasar et Chimène, il y a pourtant des éléments de science-fiction notables qui amènent l'histoire vers quelque chose de très singulier. Le tout avec une dose d'humour et de romance.
Cette bande dessinée est visuellement impeccable. Graphiquement il n’y a pas de place pour le vide, l'ensemble est surchargé sans nuire à la lecture. Les phylactères sont étonnants: j’aime beaucoup le placement du texte dedans, et leur positionnement dans chaque case. J’ai vraiment apprécié tous les choix graphiques proposés, et ça va même jusqu'à la police de caractère utilisée. Les traits des personnages et des décors sont clairs, parfois tracés à la règle, et permettent une lecture visuelle limpide. Malgré la complexité de certaines représentations, rien n'apparait superflu, et la lisibilité n'en pâtit pas. C'est la couleur qui permet à Chaize d'apporter de la densité au graphisme. Bien que probablement réalisée à l'ordinateur, elle ne m'a pas autant choquée que prévu. Les néons, dégradés, halos ou aplats de couleur utilisés ici permettent de donner du corps à l'ensemble. Le coloriste n'est généralement pas souvent mis en avant comme auteur à part entière, uniquement crédité dans les pages de garde, mais le travail de Chaize justifie largement sa mention. C'est probablement parce que le trait de Beauclair est minimaliste que la couleur de Chaize s'intègre harmonieusement. Un trait plus fourni de Beauclair, employé avec cette couleur, aurait probablement surchargé l'ensemble. Chaize crée une identité visuelle originale que je n'avais encore jamais vu en bande dessinée.
Cet ouvrage est une réussite: ce travail à six mains est un ovni dans le paysage de la bande dessinée indépendante, qui souffre parfois d'un manque d'audace en se confortant dans des facilités narratives et séquentielles. En dosant minutieusement leurs origines abstraites, les auteurs proposent une lecture rafraichissante qui en appelle d'autres.