Petit Rouge

Little Nemo in Slumberland - Winsor McCay

02/10/2023

TAGS: mccay, bd

Pfff, ce lit a un problème ! J’aimerais tant dormir sans me réveiller ! (Nemo)

On connaît Nemo sans jamais l'avoir lu. Je n'arrive pas à comprendre comment j'ai pu tarder à lire ce chef-d’œuvre en tant qu'amateur de bande dessinée. Peut-être parce qu'une version complète et restaurée manquait dans les librairies ? Les éditions Conspiration ont décidé de fournir en plusieurs volumes l'intégralité des planches de Little Nemo. Au détriment du format journal qui était habituel. Les planches de Little Nemo sont en effet parues dans différents journaux (en premier lieu le New York Herald).

Le petit Nemo (nemo signifie personne en latin) est un enfant rêveur qui doit chaque nuit rencontrer en rêve le roi Morpheus et sa fille à Slumberland, le pays du sommeil. Il vit des aventures dans ce monde féerique, mais est toujours réveillé avant de pouvoir se rendre au palais du roi. Flip, son double maléfique cherche par tous les moyens à le sortir de son rêve et l'empêcher de retrouver la princesse. Némo parvient finalement à rejoindre le palais et continue d'explorer des contrées imaginaires avec la fille de Morpheus. Plusieurs personnages le rejoindront dans ses aventures nocturnes, en particulier Flip et le Lutin. Le lutin est une représentation archaïque du sauvage, qui témoigne d'une époque où la ségrégation et les biais racistes sont encore en vigueur. Il est même caricaturé en singe dans une des planches, ce qui m'a déçu de McCay, même s'il est facile de blâmer l'auteur a posteriori pour le contexte délétère de son temps.

Voilà ce qui arrive lorsque l’on s’éloigne trop ! On est perdus ! (Nemo)

A un moment Flip détruit Slumberland et on ne revoit la princesse ou Morpheus que bien plus tard dans la saga. Slumberland est le pays du rêve et ne peut être véritablement détruit, mais Flip en est banni. La princesse fera tout pour refaire venir Nemo en son royaume sans Flip. Ce dernier parvient pourtant à saboter sa venue, une nouvelle fois.

J’aimerais pouvoir rêver à quelqu’un d’autre que Flip (Nemo)

Flip est la mauvaise conscience de Nemo. Celui qui fait des bêtises et qui se montre extraverti là où Nemo apparaît plus timide, même s'il est au centre de toutes les attentions et s'émancipe peu à peu quand il commence à prendre des initiatives lors du périple en dirigeable. Lui et sa bande visitent Mars par ce moyen de transport. Puis parcourent les États-Unis et le Canada, dans un baroud d'honneur lors des dernières planches de la saga. Les ultimes planches sont tricolores. Est-ce à cause de coupures budgétaires ? Cela permet néanmoins à McCay d’explorer de nouvelles approches: avec moins de détails dans les décors il parvient à souligner le mouvement des personnages.

J’attendais une fin à la série. Elle n’arrivera pas, ce qui est logique car les rêves ne s'arrêtent jamais. La série toute entière est un hommage au rêve comme un moyen de fuir la réalité. Avec des mises en abîme, McCay trouve des manières ludiques d’amuser le spectateur, tout en le mettant à contribution. Il y a un talent indéniable de McCay en tant que décorateur et d’architecte dans son traitement de la perspective. Les décors, inspirés de l'art nouveau, permettent à l'auteur d'amplifier la richesse des rêves, dans ce qu'ils ont de plus farfelus.

"Little Nemo" propose un imaginaire enfantin à la Lewis Carroll, riche, inventif et poétique. Le dessin est fantastique, véritable travail d'orfèvre et de minutie. Il y a beaucoup de précision dans le trait de McCay, et une gestion de la couleur de sa part qui est époustouflante. J'ai pourtant relevé quelques défauts de séquence dans les phylactères: ils sont parfois dans le désordre pour la lecture ou alors mal alignés aux personnages, ce qui rend parfois la lecture des planches plus difficile.

La présente édition est au final bien trop petite pour être savourée. Bien que le papier soit d'excellente facture, il n'est pas toujours agréable de lire ces planches en scrutant les phylactères ou le détail du dessin. Mais un livre d'un format plus gros n'aurait pas été aisé à lire non plus. Le compromis est discutable, même si la lisibilité des planches s'améliore au fil du temps. On les voit en effet s'aérer, sans concessions de la part de l'auteur sur le niveau de détail. Cette intégrale permet donc aussi de montrer une évolution dans la technique narrative de McCay et sa manière de s'approprier ce médium. Malgré quelques longueurs, "Little Nemo" est un classique absolu qui n'est pas prêt d'être détrôné dans le panthéon de la bande dessinée.