Petit Rouge

Star Maker - Olaf Stapledon

04/08/2023

TAGS: stapledon, roman, sci-fi

J'avais gardé un bon souvenir de "Sirius" d'Olaf Stapledon, lu fin 2012 à Madrid, qui j'avais découvert grace à Allen Mozek et son défunt blog. "Star Maker" semble être son chef-d'oeuvre, et je ne m'aventure que maintenant à le lire. La couverture de David Pelham pour l'édition Penguin, magnifique, laisse présager le meilleur...

Olaf Stapledon a servi son pays l’Angleterre de 1915 à 1919 pendant la première guerre mondiale, en tant qu’ambulancier volontaire. Bien qu’étant objecteur de conscience, il fut décoré de la Croix de Guerre pour son acte de bravoure. Son pacifisme ne l'empêchera pas de participer à l’effort de guerre contre le fascisme ensuite, lors de la seconde guerre mondiale. Il est amusant d’enchaîner cette lecture dont la préface met en garde contre le danger totalitaire, quelque jours après avoir lu Simon Leys. Il prévient le lecteur en ces termes:

At a moment when Europe is in danger of a catastrophe worse than that of 1914 a book like this may be condemned as a distraction from the desperately urgent defence of civilization against modern barbarism.

Il y a cette idée que j’interprète comme suit: la futilité du roman et l’œuvre de l’écrivain sont des remèdes à la morosité, permettent de développer l’imaginaire et offrir des perspectives plus réjouissantes à l’être humain. Ces points ne sont donc pas à négliger et peuvent même agir pour détourner l'être humain de la guerre. Écrit en 1937, à l’aube d’une nouvelle guerre mondiale, "Star Maker" s'annonce comme une lecture transcendante, destinée à inscrire l'être humain dans un cosmos qui dépasse notre entendement.

L’histoire démarre au singulier: le narrateur est un citoyen britannique vivant paisiblement avec sa famille. Mais il fait face à un problème existentiel:

But could this indescribable union of ours really have any significance at all beyond itself ? Did it, for instance, prove that the essential nature of all human beings was to love, rather than to hate and fear ? Was it evidence that all men and women the world over, though circumstance might prevent them, were at heart capable of supporting a world-wide, love-knit community ? And further, did it, being itself a product of the cosmos, prove that love was in some way basic to the cosmos itself ? And did it afford, through its own felt intrinsic excellence, some guarantee that we two, its frail supporters, must in some sense have eternal life ? Did it, in fact, prove that love was God, and God awaiting us in his heaven ?

Le narrateur s’inscrit en faux, et reconnaît que son existence sur Terre dans un monde de violences ne laisse que peu de place à l’amour, et davantage à un retour à l’état de poussière. Pourtant, il se sent en phase avec les étoiles malgré le caractère dérisoire de la vie sur Terre. Il fait rapidement l'expérience d'une dissociation de l'esprit qui le détache de son enveloppe corporelle.

The universe now appeared to me as a void wherein floated rare flakes of snow, each flake a universe.

En se transformant en entité immatérielle, surplombant la Terre et flottant dans l’espace, il part à la recherche d’une autre source de vie à travers le vide intersidéral. Devenu apte au voyage interstellaire, il découvre une planète habitée par des humanoïdes et parvient à communiquer avec eux par télépathie. J’ai trouvé leur description un peu grotesque et désuète. Mais il y a probablement de la part de Stapledon la volonté de parler de respect et tolérance envers des êtres différents. Ce qui s’appliquerait sur Terre: on voit poindre dans "Star Maker" une oeuvre humaniste, critiquant la société qui peut se sauver en retrouvant du sens dans l'harmonie du cosmos.

S'ensuit de longues descriptions du fonctionnement de cette nouvelle espèce humanoïde. Cela m’a peu intéressé. Voire même un peu déçu tant cela m’a semblé désuet. Ces humanoïdes, que le narrateur nomme les Autres Hommes, ressemblent aux Terriens. Le goût et l’odorat sont très développés chez eux, et la question de savoir quel est le goût de Dieu les animent. Ce n’est donc pour Stapledon qu’un moyen détourné de parler de l’humanité et de son incapacité à vivre en harmonie.

Living on the achievements of the past, the leaders of thought would lose themselves in a jungle of subtlety, or fall exhausted into mere slovenliness. At the same time moral sensibility would decline. Men would become on the whole less sincere, less self-searching, less sensitive to the needs of others, in fact less capable of community. Social machinery, which had worked well so long as citizens attained a certain level of humanity, would be dislocated by injustice and corruption. Tyrants and tyrannical oligarchies would set about destroying liberty. Hate-mad submerged classes would give them good excuse.

Il convainc Bvalltu, un Autre Homme avec qui il échange de manière télépathique, de partir avec lui. Ils rencontrent tous les deux davantage de personnes immatérielles errant dans l’univers, en quête de sens:

It appeared that, for us to enter any world at all, there had to be a deep-lying likeness or identity in ourselves and our hosts.

Et plus loin, la compréhension de l’objectif commun:

In time it became clear that we, individual inhabitants of a host of worlds, were playing a small part in one of the great movements by which the cosmos was seeking to know itself, and even see beyond itself.

Stapledon analyse, à travers cette communauté, la faillite de mondes en crise.

In the first phase of our adventure, when, as I have said, our powers of telepathic exploration were incomplete, every world that we entered turned out to be in the throes of the same spiritual crisis as that which we knew so well on our native planets. This crisis I came to regard as having two aspects. It was at once a moment in the spirit's struggle to become capable of true community on a world-wide scale; and it was a stage in the age-long task of achieving the right, the finally appropriate, the spiritual attitude towards the universe.

Le narrateur constate un manque d’éveil des mondes qu’ils rencontrent. Ceux-ci finissent inévitablement par s’autodétruire, après une longue période de déclin lié aux mêmes crises spirituelles. Stapledon décrits différetes formes de vie, par exemple des centaures, et d’autres plus grotesques. Cela lui permet d’imaginer différents modes de reproduction, différentes structures de société, ayant toutes des évolution différentes. Tous ces mondes connaissent au final une crise morale, spirituelle ou sociale. J’ai trouvé ces descriptions plutôt ridicules. Et cela ternit a mon sens le côté cosmique et transcendantal du roman. La confrérie d’êtres désincarnés qui se forme apparaît pourtant être la réponse à ces crises. Elle parcourt donc l’univers afin de comprendre pourquoi les planètes abritant la vie connaissent cet état. Là où Stapledon s’inscrit dans son époque, c’est qu’il a été marqué par la guerre et analyse la faillite du monde moderne à travers l’expérience humaine. Mais la communauté de mondes qu’ils forment désormais rencontre des luttes de pouvoir internes qui mènent inévitablement à des guerres intersidérales. Les survivants tentent alors de comprendre leur sens commun, en pourchassant l'idée d'un Créateur d'étoile.

Using such symbols as we could to express the inexpressible, we imagined that, before the beginning, the Star Maker was alone, and that for love and for community he resolved to make a perfect creature, to be his mate. We imagined that he made her of his hunger for beauty and his will for love; but that he also scourged her in the making, and tormented her, so that she might at last triumph over all adversity, and thereby achieve such perfection as he in his almightiness could never attain. The cosmos we conceived to be that creature. And it seemed to us in our simplicity that we had already witnessed the greater part of cosmical growth, and that there remained only the climax of that growth, the telepathic union of all the galaxies to become the single, fully awakened spirit of the cosmos, perfect, fit to be eternally contemplated and enjoyed by the Star Maker.

La société des mondes ainsi crée dans cette quête, constituée des êtres désincarnés communiquant de manière télépathique, se décrit elle-même ainsi:

In some ways it was less like a society than a brain.

Et les étoiles elles aussi se révèlent comme étant des êtres vivants à part entière, au sens spirituel autant que physique. La communauté finit par toucher du doigt le principe du créateur, en l’occurrence de l’artiste, qui est de donner vie. Ici, Stapledon imagine la création comme un acte désintéressé, dénué d’amour.

It seemed to me that I now saw the Star Maker in two aspects: as the spirit's particular creative mode that had given rise to me, the cosmos; and also, most dreadfully, as something incomparably greater than creativity, namely as the eternally achieved perfection of the absolute spirit.

Le Créateur d’étoiles est presque blasphématoire, puisque Stapledon l’imagine par lui-même. Il y a cette force intangible qui se rapproche de ce que je peux imaginer d’un point de vue physique comme étant Dieu (terme que l'on remarque peu dans le roman).

I saw, though nowhere in cosmical space, the blazing source of the hypercosmical light, as though it were an overwhelmingly brilliant point, a star, a sun more powerful than all suns together. It seemed to me that this effulgent star was the centre of a four-dimensional sphere whose curved surface was the three-dimensional cosmos. The star of stars, this star that was indeed the Star Maker, was perceived by me, its cosmical creature, for one moment before its splendour seared my vision. And in that moment I knew that I had indeed seen the very source of all cosmical light and life and mind; and of how much else besides I had as yet no knowledge.

Stapledon énumère les différents types de cosmos imaginés par le créateur d’étoiles, dont celui contenant la Terre. Cet acte créatif est successif, incrémental, jusqu'à parvenir à la forme ultime de cosmos. Le processus de création, que l'on pourrait prendre au sens large chez Stapledon, est une recherche d'absolu et de perfection. Le Créateur d'étoiles part de brouillons d'univers, les perfectionne jusqu'à leur achèvement.

Que retenir au final de cette lecture, que j'ai trouvé difficile ? Le récit ressemble davantage à une rêverie. Avec des phases très inégales: magnifique quand il s’agit de décrire les errances de la compagnie dans les galaxies, mais presque risible dans ses descriptions de mondes vivants. Stapledon, docteur à l'université, maîtrise l'écriture du roman philosophique, mais à mon sens moins celui de la science-fiction. Il y a donc quelques petites ringardises et passages faiblards, qui sont de plus très longs, mais le roman est globalement majestueux dans son écriture. J’ai souvent lu en diagonale ces descriptions, sans trop m'attarder, car la langue, bien que maitrisée, n'en est pas moins très soutenue et m'a demandé un gros effort de concentration. J’ai buté sur le vocabulaire fourni, malgré quelques jolies tournures de phrases. Je ne garderai donc pas cet ouvrage singulier, qui ne m'a qu'à moitié convaincu. Dommage.