Petit Rouge

La mer à boire - Blutch

19/07/2023

TAGS: blutch, bd

Arrivé à Bruxelles-City en train, le dessinateur B se dirige vers l'hôtel Métropolis pour tenter de retrouver A. Elle s'y cacherait sous le pseudonyme d'Incartade, nom d'un parfum pour femmes capricieuses. Mais ne la trouvant pas, il quitte l'hôtel et se fait capturer par des Peaux-Rouges. A finit par le retrouver grâce au fil de funambule accroché au pénis de B. Il s'abandonnent alors à un amour intense. Cet ouvrage de Blutch évoque la peur de vieillir, le rôle de l’artiste qui fige le temps et la beauté du moment amoureux. Sous-titré "Romance", cette bande dessinée fige l'instant de la rencontre entre deux personnes inéluctablement unis par l'amour.

Au moment où je vous parle, je suis sûre qu’il dessine… (A)

Il y a une mise en abîme de Blutch en tant que B qui suggère que le récit est très personnel. Malgré un érotisme que je n'avais pas encore vu chez lui - on y voit des sexes en érection - il y a une pudeur chez cet auteur qui lui évite le piège de l'autobiographie intimiste narcissique. En effet, tout le ton absurde du récit lui permet de brouiller les pistes, de divaguer sur son histoire amoureuse dans une rêverie sans queue ni tête. Le ton onirique utilisé par Blutch, si particulier dans ces références à l'enfance, lui permet d'invoquer les classiques de la bande dessinée comme "Tintin en Amérique" dont la scène de poursuite dans laquelle prend part B est directement issue.

Je n’ai pas de mérite, sinon celui d’aimer. (A)

B est à la recherche de A. A est à la recherche de B. B part vers la droite et A vers la gauche pour finir par se rencontrer. Ce fil rouge de funambule permet à Blutch de définir le pôle d'attraction physique de la rencontre, tout en insistant sur son caractère aléatoire. A pourrait tomber et ne pas rencontrer B, mais ce fil conducteur les unis quoi qu'il en coûte. Elle survole une guérilla, ne se laisse pas déstabiliser par un vol d'oiseaux et parvient à bout du fil. Ce qui est une très jolie façon de parler de la fragilité du lien amoureux, qui ne tient ici véritablement qu'à un fil au sens propre, tout en étant pourtant inéluctable.

Dis moi, cowboy… J’aimerais savoir… En vérité, lequel de nous deux rêve ici ? (A)

L'ouvrage s'achève par un mariage à l'aéroport et d'autres rêveries de la part de A et B, jusqu'au réveil de A qui semble clore un récit qui dans sa forme ne semble jamais s'arrêter.

Je voulais donner au lecteur l’impression que l’histoire a débuté avant qu’il ouvre le livre, qu’il la prend en cours. (Blutch)

Il s'agit d'un très bel objet édité aux Éditions 2024. Couché sur un beau papier avec une mise en page originale et soignée, le dessin de Blutch est toujours aussi maitrisé. Parfois grotesque dans son sens de la caricature, parfois élégant dans sa manière de présenter les corps. Les couleurs à l'encre sont très jolies et réalisées par Blutch lui-même. La palette chromatique est presque psychédélique et m'a beaucoup plu, moi qui avait été déçu par certaines mises en couleurs chez lui. Je garderai donc cet ouvrage précieusement. Encore un chef-d’œuvre.