La révolution est la consolation des enfants malheureux. Jeunes, soyez des hommes. Vous ne parlerez plus de révolution. Vous la ferez
Sous-titré "Essai sur l’immaturité de la jeunesse". Cité plusieurs fois par Michéa dans ses essais, je me suis procuré cette occasion dont le sujet me semblait intéressant. Paru aux éditions Maspero en 1974, est-il toujours d’actualité ?
Dans une société qui véhicule partout le mythe de la société de consommation, il est tentant pour les étudiants des pays sous-développés de confondre libération nationale et capitalisme national, aspiration à la liberté et aspiration à l'argent.
Alzon décrit une société qui voue un culte à la jeunesse. Une jeunesse qui souffre selon lui d'immaturité, conséquence directe de l'expansion de la société de consommation. L'auteur s'érige contre les intellectuels qui se pâment devant des jeunes, dont l'élan vital confronterait l’ordre en place. La bourgeoisie ne risque selon lui pas de s'ébranler devant des voyous qui seraient perçus comme vaguement contestataires. Au contraire, ce non-sens renforcerait la classe bourgeoise, comme Alzon le développera un peu plus loin dans le pamphlet.
L’essentiel est que le phénomène existe; on peut même dire que, dans une certaine mesure, la bourgeoisie a, la première, payé le prix de la société de consommation, avant de communiquer son mal au reste de la population. Ce qui n'a rien pour nous surprendre: à force de singer le bourgeois et de se faire baiser par lui, on finit, un beau jour, par attraper sa vérole.
La question préliminaire est de savoir si la jeunesse est tout simplement à la hauteur pour prendre la relève dans la lutte sociale. Pour Alzon le jeune est corrompu par la société et ne réfléchît qu'avec son porte-monnaie, prisonnier d'une consommation de masse instaurée par la bourgeoisie pour diviser et abêtir le peuple. L'auteur passe en revue la littérature pour évaluer si l’homme est tout simplement immature par nature. Mais la société bourgeoise est davantage à blâmer que l'homme, ce qui semble logique au vu des orientations marxistes de l'auteur. Cette question lui semble, dans tous les cas, sans intérêt:
Encore une fois, on ne changera pas l'adulte en érigeant en norme l'immaturité supérieure encore à la sienne de la jeunesse, mais en lui demandant, tout simplement, de conquérir sa propre maturité. Cela est possible, car l'immaturité biologique de l'homme, réelle ou non, importe peu. Ce qui compte, c'est sa maturité sociale, c'est-à-dire son aptitude à se comporter dans la vie en être responsable.
Jeunes et adultes sont donc dans le même bateau, les premiers étant sous la responsabilité des seconds. Alzon est professeur d'université et la question de l'éducation est centrale dans cet essai. Il donne - assez tardivement - une définition de l’immaturité:
L'immaturité, c'est tout autre chose. C'est le fait de se comporter en deçà de ses possibilités virtuelles. C'est-à-dire en retrait par rapport à ce que la biologie devrait permettre. Aborder le problème sous cet angle c'est, cette fois, faire le procès de la société.
L’homme immature ne peut donc tout simplement pas permettre à ses enfants de s'élever à l'âge adulte. L’enfant est à la fois incapable de se libérer de sa dépendance aux adultes par lui-même, et aussi mal encouragé par ses parents qui ne le guident pas vers le bon exemple. À grand renfort de psychanalyse et de freudo-marxisme, Alzon tente de mettre le doigt sur le fondement psychologique de l’immaturité, en tentant une analogie que j'ai mal comprise avec le mythe de Pygmalion, qu'il oppose à Narcisse. Le tout dans un langage très cru que j’ai rarement lu dans un essai, en particulier lorsqu'il part en diatribe contre l’église et le patron. Personne ne semble trouver grâce à ses yeux: l’ouvrier idiot choisit liberté dans la société de consommation, les politiques manipulateurs ne servent que leurs intérêts et le bourgeois autosatisfait qui s'arrange parfaitement du désordre ambiant.
En voulant singer le bourgeois, en lui empruntant ses objectifs qui ont, de tous temps, été nécessairement les siens, le prolétaire court après la peau de l'ours. Plus il s'enlisera dans ce bourbier, plus il devra en payer le prix. Le prix fort. Car, bien entendu, ce n'est que par la lutte et la révolution, C'est-à-dire en sortant du système et non en s'y enfonçant, que l'ouvrier pourra s'évader de sa condition. Vivre au-delà de ses moyens, c'est se condamner à des achats sans fin, destinés à compenser par les plaisirs coûteux qu'ils procurent des conditions de travail que cette consommation sans frein a précisément pour effet de dégrader.
Mais la charge la plus violente est orientée vers la société de consommation, conséquence du mode de production capitaliste. L’ouvrier ne réalise pas en être le grand perdant:
Autrefois le prolétariat, pris au piège du paternalisme, se faisait des illusions sur son sort. Aujourd'hui, victime de la société de consommation, il se fait des illusions sur son devenir. Et c'est bien pis. Car, auparavant, quand un ouvrier parvenait à voir clair, il cherchait par la lutte à s'en sortir, tandis que maintenant le peuple a perdu ses œillères, mais il ne songe plus qu'à fléchir la croupe pour manger son picotin. Si l'esprit de classe, c'est avoir la conscience d'être exploité, mais aussi la volonté de mettre un terme à cette exploitation, le prolétariat a sans doute acquis la première moitié de la donne, mais ce ne sont pas, pour le reste, la télé et la bagnole qui pourront lui servir d'atouts
C'est à partir de cet instant que j'ai commencé à comprendre la thèse de l’auteur: l'immaturité de l'homme empêche la révolution de se réaliser. Maintenir le peuple dans un état infantile permet à la bourgeoisie de maintenir l'ordre établi. Cet état est rendu possible en créant l'illusion d'un avenir radieux dans une société consumériste libérale. Alzon développe l'idée très intéressante du fantasme comme critère de décrochage avec la réalité:
Alors demain, oui, la vie peut être belle, quand les hommes, pour satisfaire leurs désirs, choisiront la voie difficile de la dignité et de l'intelligence, et non celle de la lâcheté, de la bêtise et de la démission. C'est-à-dire la voie de la maturité et non celle du fantasme. Car c'est bien d'un fantasme qu'il s'agit, avec ses deux aspects de remède à l'angoisse et d'illusion pure. Croire qu'à force d'accumuler les biens matériels on finira par « devenir enfin quelqu'un », c'est-à-dire un bourgeois, même petit, alors qu'on contribue en réalité à la puissance et à la prospérité accrues de ceux qui vous exploitent, relève de l'hallucination rassurante, non de la réalité vécue.
Et, beaucoup plus loin dans l'essai:
Dans les classes supérieures, le culte de l'argent est une réalité; dans le peuple ce n'est qu'un rêve.
La classe dirigeante a abrutit le peuple en lui proposant une société de désirs. Désirs que l’auteur qualifie d'abêtissants. L’homme sujet à ses désirs a pour lui perdu sa dignité. Ne serait-ce pas aussi le propos de Clouscard ? Le fantasme d'une vie d'abondance ne peut s'expliquer selon Alzon que par l'angoisse des lendemains d'aliénation.
Dans la société de classe traditionnelle, telle qu'elle existait jusqu'à ces derniers temps, l'homme est condamné à rester immature. Certes son immaturité décroît tout au long de son existence, mais, sauf exceptions individuelles, il ne devient vraiment mûr que pour mourir, assurant ainsi la transmission de l'expérience dans sa totalité et de la culture dans sa plénitude. C'est dire que les fantasmes, qui devraient normalement disparaître avec l'enfance, se prolongeront à l'âge adulte et même au-delà, réactivés chez certains vieillards par un rétrécissement de leur moi les plongeant dans le gâtisme. Le fantasme n'est pas seulement entretenu par l'immaturité, il est un moyen d'échapper à l'angoisse qu'elle distille.
Alzon développe l'idée très intéressante que le fantasme est l'artifice avec lequel l’humain ne peut espérer retrouver sa dignité et assumer sa réalité matérielle. Le fantasme permet à l’homme de refouler sa propre mortalité. Le jeune qui lorgne sur une vie d’idole par exemple est l'illusion dans laquelle tombent nombre d'entre eux. Les idoles sont d'après l'auteur des produits dans une société de consommation qui ont pour objectif de dévier le jeune de son accomplissement en tant qu'adulte et l'empêcher de s'inscrire durablement dans la lutte sociale. Cela n'a pas tellement changé aujourd'hui: le rôle des influenceurs et des stars de pacotille s'est amplifié avec l'avènement des réseaux sociaux.
Pour rafistoler un fantasme qui fait eau de toute part, pour se persuader en dépit de tout que dans cette société on n'est pas si zéro que cela. Que les jeunes eux aussi peuvent réussir autant et mieux que les adultes, on en vient à fabriquer de toutes pièces des idoles qui sont précisément, par la médiocrité de leur vie, de leur pensée, de leurs produits. la confirmation éclatante de l'infantilisme de leurs admirateurs. Et comme on n'est pas sans s'apercevoir que derrière les idoles se tiennent, à peine cachés, les détenteurs de capitaux qui en tirent les ficelles, alors on se lance dans le fantasme de la contre-culture, tout aussi infantile, mais qui se veut chaste et pure, du moment que ses vedettes, sans renoncer pour autant à leurs cachets, se dédouanent en jouant les mirliflores et chantent la révolution en vers de mirlitons. Autrement dit, les fantasmes s'empilent les uns sur les autres, comme des assiettes sales. Désolé. Mais la révolution, cela ne se rêve pas, cela se prépare en attendant de pouvoir la faire. Et pour cela il faut d'abord être soi-même, sans confier à d'autres le soin de vivre à sa place.
Tellement lapidaire.
L'enfant est la vraie, la seule richesse de ceux qui n'ont rien.
L'auteur décrit ensuite les problèmes dans l’éducation scolaire et familiale. L'abandon d’une éducation stricte s'effectue au profit d’une éducation libérale, ce qui, pour Alzon, revient au néant. L’auteur ne semble pour autant pas être favorable à une éducation stricte comme vestige du patriarcat, même si la discipline qu'il promeut dans l'effort scolaire m'a interpellé.
Alors, au lieu d'aspirer du matin au soir à des loisirs dont la stupidité est à la mesure de l'aliénation que vous subissez, vous vous intéresserez peut-être à autre chose qu'au tiercé ou à la télé, à la torpédo ou au sable chaud.
Alzon part d’une bonne intention mais n’est-il pas jusqu’au-boutiste ? Il ne semble pas y avoir beaucoup de place à l’amusement. Même si je peux encore faire la nuance entre amusement et abrutissement. Le problème étant que les enfants calquent le mode de vie de leurs parents par mimétisme, et que le plaisir ludique dans l'apprentissage se confond selon lui avec la bêtise des divertissements. Seul l'amour - des parents ou du professeur - peut permettre au jeune de renouer avec l'apprentissage. Alzon insiste sur ce point:
L'amour est un libre choix; notre monde ne veut plus que des êtres enchaînés.
Alzon, avec son sens de la formule, propose une critique féroce de la société de consommation. Société qui ne laisse plus de place à l’amour alors que le prolétariat n'a pourtant plus que cela à faire valoir, là ou le bourgeois n'a que l’argent. Aujourd’hui le prolétariat singe le bourgeois et son amour du fric. L'amour, ancienne chasse gardée d'une Église qui s’est corrompue, laisse place à la violence de la société, imagée et réelle, qui s’est généralisée.
En faisant l'économie d'une révolution pour obtenir enfin le bien-être auquel il avait droit, il n'a pas seulement rendu ce bien-être illusoire en travaillant au-delà du nécessaire pour être payé en consommation de mauvais aloi, il a également renoncé à un sentiment qui faisait sa joie de vivre et, partant, suscitait sympathie, envie et ralliement.
Il est essentiellement question d’ouvrir les yeux au prolétaire sur sa servilité à la bourgeoisie. L'amour perdu, encore une fois, s'accompagne d'une perte de solidarité entre les prolétaires pour mener à bien son projet révolutionnaire. L'ouvrage est d'ailleurs divisé en deux sections: amour et travail.
Toutes les valeurs autres que l'argent sont en train de disparaître.
A cet instant dans ma lecture je me suis posé la question de savoir si Alzon était réactionnaire ou réaliste. Mais en constatant par exemple que les États-Unis ont privilégié l’ascension sociale par le travail et l’appât du gain, et que, par mimétisme en France, le pouvoir de caste est renforcé et que l’ascenseur social est désormais inaccessible au prolétaire, j'en suis arrivé à la conclusion que sa critique du culte de l’argent et de l'aliénation au travail était probablement réaliste.
Tout argent en plus, c'est du faux bien-être en perspective, c'est-à-dire de l'abêtissement accru et l'obligation, tôt ou tard, de payer la facture. On n'aura contribué, en fin de compte, qu'à nourrir le capitalisme en lui donnant du souffle tout en entretenant le travailleur dans son rêve. Et en l'aggravant. Car plus le travail sera inintéressant, plus il sera fatigant, plus il sera aliénant, et plus le travailleur se réfugiera dans la surconsommation la plus infantile, les choses étant censées lui apporter une consolation, une justification, un intérêt, une raison de vivre.
Alzon appelle de plus à changer le langage révolutionnaire. Il n'a pas encore pu voir la disparition progressive d'une terminologie marxiste dans le langage courant. Le concept de lutte des classes étant par exemple désuet aujourd'hui. Malgré un langage parfois gênant lorsque Alzon emploie un jargon freudien, il y a quelque chose d’urgent dans cette relecture qui rétablit des concepts aujourd'hui disparus.
Aujourd'hui l'enseignant est comme les autres; il ne pense plus, ne vit plus que pour le contenu de la gamelle, et son seul désir, en entrant dans sa classe, est de hâter le moment où il lui sera possible d'en sortir. Certes il ne manque pas d'excuses. On ne lui demande plus d'éduquer, mais d'abêtir, le fin du fin n'étant pas de modeler des caractères, mais de fabriquer en série des numéros lestés, en guise de bagage, du minimum nécessaire pour faire tourner des roues et des pignons.
Alzon étant lui-même professeur, il se fend d'une autocritique du système éducatif. Réformer l’école sans repenser la société est une erreur selon lui. Il perçoit le rôle de l’enseignant comme guide, ce qui suppose de renouer avec l’amour sous toutes ses formes, en particulier l’amour propre. Enseigner est un acte d’amour pour Alzon.
La démocratie se transforme ainsi purement et simplement en nullocratie pour le plus grand profit du régime.
Nullocratie ou idiocratie: maintenir le peuple dans un état de débilité pour mieux gouverner. L'argent et la société de consommation sont pour lui les grands coupables de l’abêtissement général du prolétariat et de la jeunesse.
Les jeunes se méfient comme de la peste de ces adultes uniquement préoccupés de les imiter en tout, de peur d'être en retard d'un train, qui leur rappellent fâcheusement leurs propres parents, avec leurs singeries et leur démission. Ils ont besoin d'être compris, pas approuvés. Et ce n'est pas les comprendre que de se mettre à leur remorque. Car s'ils ont soif de quelque chose, en dehors de l'argent, ce n'est certainement pas de voir consacrer leur infantilisme par des intellectuels dont la servilité sert la carrière et dont la démagogie sert de pensée.
Alzon enchaîne ensuite les jeunes et leur mode de vie. Il ne mâche pas ses mots les concernant: débiles, attirés par l'argent et le superficiel. Évoluant en bande et sans repères familiaux ou sociaux consistants, les jeunes n'ont aucune perspective de s'élever dans cette société de consommation qui les pervertissent. Le problème que rencontrent les jeunes est résumé dans la citation suivante:
On les a enfermés dans une cage, en faisant d'eux des êtres trop faibles pour en briser les barreaux.
C’est l’objet central du livre. La lutte est claire pour Alzon, on ne remplacera pas l’ouvrier par le jeune pour faire la révolution.
C'est contre le capitalisme que nous devons engager le combat, ce qui suppose la participation active de la classe ouvrière, seule, malgré sa faiblesse, capable de l'abattre. Cela était vrai hier. C'est encore vrai aujourd'hui. Toutes les tentatives visant à remplacer la lutte des classes par un conflit de générations, c'est-à-dire par un combat de l'hospice contre l'hôpital, sont réactionnaires et, volontairement ou non, servent la bourgeoisie. Certes les ouvriers ont cessé d'être révolutionnaires. Raison de plus pour faire en sorte qu'ils le redeviennent. Remplacer comme élément central de la lutte le prolétariat par la jeunesse, c'est-à-dire rien par moins que rien, est une aberration.
La division générationnelle préparée par la bourgeoisie est un leurre, l’ouvrier restant pour l'auteur le dernier rempart contre le capitalisme. Alzon regrette les divisions de son temps: femmes contre hommes, jeunes contre vieux et prolétaires contre bourgeois. Et pour lui, seule cette dernière confrontation permet l'acte révolutionnaire. N’y aurait-il pas quelque chose de trop étroit ou obtus, trop marxiste orthodoxe chez lui ? Je comprends bien que ces antagonismes ne sont que des moyens supplémentaires de diviser les populations pour mieux régner, mais je trouve quand même qu’il y a pourtant des luttes intéressantes, avec des passerelles communes évidentes qui ont, je crois, été incorporées entre-temps. Mais ce qui est évident, et Alzon ne peut pas encore l’aborder en son temps, c’est la perte dans le langage la disparition de termes comme lutte des classes, comme vu précédemment. Ce qu’a anticipé Orwell, Alzon ne peut pas encore le percevoir. Malgré le fait que ce dernier perçoit correctement que la création de nouvelles classes, en particulier validées par la gauche, ne peut pas permettre une quelconque unification dans la lutte. L’idée que je peux développer aujourd’hui, c’est que le jeunisme comme moyen d’une lutte révolutionnaire n’existe même plus aujourd’hui. A force de divisions, Alzon avait raison de s’inquiéter de ce point. A lire son essai aujourd’hui on ne peut qu’être frappé à quel point ses constats se sont aggravés. Et ils restent d’actualité aujourd’hui. On pourrait lui reprocher, mais c’est facile à posteriori, qu’il n’ait pas su voir que les luttes sociales ont été complètement remplacées par les luttes sociétales. C’est en filigrane dans tout le pamphlet, mais encore trop embryonnaire à mon sens.
Les étudiants contestataires devraient savoir à quel point ils sont profondément haïs par la classe ouvrière. Non parce qu'ils ne cessent de lui donner des leçons, mais parce qu'ils devraient être plutôt les premiers à en recevoir. Rien en effet n'irrite davantage un prolétaire que ces pseudo-intellectuels débiles et phraseurs, dont la prétention le dispute à l'ineptie.
La critique du jeune gauchiste paré pour devenir un politique permet à Alzon d'étriller Mai 68, qui voit leur victoire définitive sur les ouvriers, comme on a pu le voir avec les figures étudiantes du mouvement ayant eu des trajectoires fulgurantes par la suite.
Le gauchisme, en voulant précipiter les choses, s'est vu dénoncer par Lénine comme la maladie infantile du communisme. Infantile parce que caractérisée par une impatience et une immaturité enfantine. On ne peut mieux qualifier ce qu'était et demeure le gauchisme, dans sa pratique comme dans sa mentalité.
Alzon cite Lénine pour finir. Il justifie le titre d’un de cet ouvrage ouvrages par le travail dans ce présent essai, qu’il détourne pour étayer sa thèse. L'essai est agrémenté d'une postface de Boris Fraenkel, qui ajoute du bruit tellement elle sert à rien.
Il y a quelque chose qui m'a dérangé avec l’exigence d’Alzon vis à vis de l’être humain en général. Car il me semble que les fascistes sont les seuls à avoir "réussi" à proposer un projet de transcendance de l’homme vers cette exigence morale, malheureusement. Je comprends qu’il faille taper sur la gauche pour ses erreurs, et je le fais moi-même. Mais je trouve quand même que la frontière avec le fascisme est parfois ténue et peut être une tentation pour certains. Derrière l'exigence d'Alzon, il n'y a qu'un pas vers le fascisme. Mais pour autant, ne peut-on pas exiger de la gauche une certaine discipline ? Je me suis demandé s'il ne pouvait pas y avoir un flou dangereux sur les vertus morales prônées par Alzon, même s'il n’emploie jamais ces termes dans l'essai. Ce pamphlet est pourtant essentiel, perdu dans des bibliothèques qui s'en débarrassent progressivement. J’ai eu une pensée pour l’auteur qui a investi son énergie en vain. Car j’ai bien peur que ces écrits engagés des éditions Maspero soient perdus, vestiges d’un passé révolutionnaire que la gauche a abandonné au fil du temps. L’éducation populaire a disparu, écrasé par le rouleau compresseur libéral. Il reste à s'assurer qu'ils puissent être exhumés au bon moment, pour le futur.