Quelques jours après le suicide par arme à feu de sa compagne, qui chantonnait une des Gymnopédies de Satie avant de se donner la mort, Goda retrouve Chisato, une jeune femme qu'il avait lui-même sauvé du suicide dans une station de métro. Mais cette dernière appartient à un gang de délinquants qui rackettent et tabassent Goda. Il devient alors obsédé par les armes à feu et décide coûte que coûte de s'en procurer une, à la fois pour comprendre le geste désespéré de sa compagne, mais aussi pour se venger des voyous...
Je profite d'une rétrospective Carlotta au Reflet Médicis à Paris pour revoir ce film dont je n'avais plus de souvenirs. Film monochrome de 1998, "Bullet Ballet" garde une tonalité industrielle comme Tsukamoto le faisait si bien dans "Tetsuo". On retrouve cet aspect industriel davantage dans la musique: il n'est ici plus question d'étudier le monstre-machine, mais davantage l'extension que représente l'arme à feu pour l'homme.
Tout Tokyo n'est qu'un rêve
Un rêve, davantage un cauchemar, dont Goda n'arrive pas à se réveiller. Joué à l'écran par Tsukamoto lui-même, c'est un personnage aussi fragile que ne l'était Tsuda dans "Tokyo Fist", car animé d'une frustration identique qui tient beaucoup à sa lâcheté et à son manque de charisme. Mais là où Tsuda avait un sursaut d'orgueil suite à l'humiliation d'être trompé par sa compagne, le sursaut de Goda provient de sa lassitude de vivre. Son désespoir fait qu'il encaisse les coups, et son obsession pour les armes à feu lui donne des envies de meurtre. L'insouciance morbide de Chisato les rapproche en cela. Le sujet du suicide, thème si japonais, est ici omniprésent. Il y a ce désespoir que l'on retrouve notamment dans Akira: les jeunes membres du gang n'en ont plus rien à foutre, ils se bastonnent et se droguent comme la bande de Kaneda et Tetsuo dessinée par Katsuhiro Otomo.
Tsukamoto étudie ici le pouvoir de vie et de mort que procure l'arme à feu pour l'homme. Goda est d'abord paralysé à l'idée de s'en servir, mais finit par blesser quelqu'un en lui tirant dessus au cours d'une baston. Goto la petite frappe du gang est lui aussi sommé de se servir de l'arme de Goda, hésite longtemps par manque de courage, mais finit néanmoins par commettre l'irréparable en assassinant le fils boxeur d'un yakuza proche du gang. Tsukamoto décrit très bien la lourde responsabilité conférée par l'arme. On ressent la difficulté pour Goto, moins désespéré que Goda, de l'utiliser pour tuer. Goda à l'inverse est obsédé par cette pulsion morbide et Tsukamoto le représente très bien à l'écran. Il m'a semblé que le cinéaste voulait montrer que le meurtre était un sentiment irrationnel mû par le désespoir.
La direction artistique, la réalisation et le montage sont effectués par Tsukamoto. Parfois filmé au poing, ce qui frappe immédiatement dans ce film c'est le sens de la vitesse. Il y a quelque chose de frénétique dans certaines scènes de course dans Tokyo. Elles traduisent l'animation de la ville. Comme si Emmanuel Lubezki, directeur de la photographie de Terrence Malick, avait pris des amphétamines. Film brillant dans sa mise en scène et son jeu d'acteur, qui semble pourtant réalisé avec un budget assez mince, la fin m'est par contre apparue un peu bâclée. Elle se termine par une course effrénée de Goda et Chisato dans Tokyo, qui s'éloignent mutuellement et retrouvent le goût de la vie après avoir survécu au yakuza vengeur de son fils assassiné. Cela était inattendu, et paraissait un peu trop facile. Tsukamoto arrive en tout cas, avec peu de moyens, à créer une atmosphère visuelle et sonore résolument punk, sombre par ses thèmes, mais lumineuse par cette fin qui permet à Goda de faire son deuil et sortir du tunnel.