Après "Carbone et Silicium", que j’avais lu d’une traite, je me suis décidé à lire cette bande dessinée de 2016 qui a contribué à faire connaître Mathieu Bablet du grand public. J'avais été impressionné par son sens du détail à l'époque, et l'imagination dont il faisait preuve pour représenter le désastre écologique et le futur m'avait convaincu.
Ce qui frappe rapidement à la lecture de "Shangri-La", ce sont les décors à la 2001 ou à la manière de Katsuhiro Otomo dans Akira. Bablet propose un curieux mélange graphique entre bande dessinée franco belge et manga. Il s'agit donc d'un récit de science-fiction sur fond de catastrophe planétaire, où la Terre serait devenue inhabitable et les derniers humains prisonniers d'une station spatiale. Cette dernière est entièrement contrôlée par Tianzhu Enterprises, une multinationale à la Weyland-Yutani comme dans la saga Alien.
On travaille pour Tianzhu qui, en contre-partie, nous paye avec des crédits Tianzhu, que l’on utilise pour acheter des produits Tianzhu, ce qui leur permet de nous payer. La boucle est bouclée ! Et si on a pas assez d’argent, il suffit de faire un crédit à la consommation auprès de Tianzhu ! Y a rien qui te gêne ?
Bablet imagine une société capitaliste hypertrophiée où le lavage de cerveau par propagande n'est même plus caché comme il le serait dans "They Live" de John Carpenter. Les publicités pour les produits Tianzhu imposent un mode vie uniquement basé sur la consommation, et la population sous contrôle fait preuve d'une inquiétante absence de pensée critique. J'ai trouvé ce point un peu grossier de la part de l’auteur. Il y a comme dans "Carbone et Silicium" une conscience écologique et sociale qui frise ici la naïveté.
Un groupe de scientifiques en marge de Tianzhu développe l'ambition du millénaire: rendre habitable Titan, satellite de Saturne, pour la création d’une nouvelle espèce humaine: l’homo stellaris. Cet homme des étoiles, créé par l’être humain à partir de rien par "abiogenèse" colonisera Shangri-La, une région de Titan. Mais un groupe de rebelles commence à contester l'hégémonie de Tianzhu. Scott, protagoniste principal du récit, commence son éveil et finit par s'allier à Mister Sunshine, la voix de la résistance. Ce dernier est un animoïde, un chien humanisé comme il pourrait être décrit dans "Demain les chiens" de Clifford D Simak, qui se bat contre Tianzhu et fomente un coup d'état. On découvre au fil du récit que Tianzhu exploite des animaux pour permettre aux humains de continuer à consommer. Cela ne m’a pas semblé très crédible.
Écoutez les gens autour de vous: est-ce que vous êtes heureux de travailler ? Travailler pour acheter, travailler pour consommer. Vous en avez pas assez de passer votre vie à essayer de la gagner ?
Les formules utilisées par Bablet me sont apparues très immatures et plates.
Mais… tu l’as entendu, non ?! C’étaient eux les gentils. Il nous disait la vérité !
Malgré un manichéisme puéril, où les gentils résistants affrontent les méchants capitalistes de Tianzhu, il y a pourtant au fil de l'intrigue un complexité grandissante des rapports entre les différents protagonistes. Mister Sunshine brigue lui-même le pouvoir et attend son tour pour gouverner la station orbitale. Mais il réalise que l'oligarchie qui dirige Tianzhu vit sur la Terre, qui était redevenue habitable sans que les derniers humains de la station soient au courant. Il se pend en réalisant que son coup d'état a finalement échoué.
L’humanité finit par disparaître: la Terre et la station ont été détruites après qu'une sphère d'antimatière ait été annulée par Scott. L'ouvrage s'achève par quelques pages décrivant le quotidien de l’homo stellaris, qui a colonisé Titan. La fin est jolie, bien que difficile à comprendre car on y suit une nomade de Shangri-La qui rend visite à une chaman et dont les rites échappent à la compréhension humaine. On y devine le nouvel espoir porté par cette espèce, qui devra éviter les mêmes travers que l'être humain.
Il y a de très bonne idées de narration graphique dans cet ouvrage, comme celle d’adosser le visage du locuteur dans certaines phylactère. J'ai par contre été rebuté par quelque chose de très enfantin dans cet ouvrage, voire puéril, dans la manière dont Bablet aborde le capitalisme et le fait social. Car l'auteur énumère les lieux communs et sa maturité n'est pas encore aussi achevée que dans "Carbone et Silicium". Malgré le fait qu'il balaye un grand nombre d'influences, j'ai trouvé "Shangri-La" moins abouti que ce dernier ouvrage, car trop impersonnel et parfois trop facile dans ses références grossières. Bien qu'éblouissant graphiquement, à la fois dans les décors ou les couleurs, j'ai finalement été assez déçu par cet ouvrage qui pèche dans la manière d'aborder certaines thématiques. Il faudra néanmoins suivre attentivement cet auteur à l'avenir, qui a redressé la barre avec "Carbone et Silicium", en proposant un récit aussi impressionnant dans sa forme que "Shangri-La", mais plus solide sur le fond.