Travail titanesque majoritairement réalisé en stop motion de 1987 à 2021, soit une trentaine d'années de travail minutieux, ce film d'animation de Phil Tippett propose une vision d'un pessimisme rare dans ce genre. Ce réalisateur est notamment célèbre pour avoir supervisé les effets visuels de nombreux films, dont le premier volet de la saga Star Wars et Jurassic Park. "Mad God" est un film quasi anachronique dans le paysage cinématographique d'aujourd'hui, peuplé d'effets synthétiques. Ce film est un hommage à la débrouille et à l'inventivité d'artisans en effets spéciaux.
"Mad God" démarre par un extrait du Lévitique qui annonce la couleur apocalyptique du film: l'homme qui se détourne de Dieu est promis aux plus grands malheurs. Une des premières scènes du film, impressionnante descente aux enfers, présente un assassin qui tombe du ciel dans un scaphandre. Il est chargé de détruire, à l'aide d'explosifs, un monde à l’abandon, peuplé de mutants et de médecins aussi fous que Mengele. Mais au moment fatidique, une mystérieuse force empêche le détonateur de faire exploser la bombe...
Mais de quoi parle donc bien ce film ? Il m'est difficile de le résumer tant l'intrigue est décousue. Je peux tenter d'expliquer qu'il décrit l'absurdité et l'anarchie de la vie, qu'il présente la destruction et création de mondes désolés. Mais la non-linéarité de l'intrigue ne permet pas simplement de rendre compte de l'histoire et du propos. On suit donc cet assassin qui échoue à sa tâche et se fait capturer par d'étranges docteurs qui dissèquent son corps à la recherche d'une progéniture. Le chirurgien qui extirpe difficilement un nouveau-né ressort aussi du corps des bijoux et des livres. Somme toute, la valeur matérielle et spirituelle de l’être humain en terme de connaissances et de richesses. L'horrible monstre sorti du ventre de l'assassin est ensuite confié à deux alchimistes qui l'utilisent comme matière pour créer un big bang créateur d'univers tout aussi chaotique que le précédent. Un dictateur qui semble se prendre pour un dieu envoie un nouvel assassin dans un autre monde à détruire.. Il arbore différents oripeaux et symboles religieux: kippa et chapelet. Tippett dénonce-t-il les faux prophètes en lutte avec les dieux ? Mais sait-on seulement qui c’est ? Il n’a pas nécessairement été représenté pendant le film, même si les alchimistes semblent en avoir les pouvoirs. Beaucoup de questions restent sans réponses à la fin de la séance.
Le film est globalement très déprimant. Je n'avais encore rien vu d'aussi désespéré au cinéma. Il y a peu de place à l'espoir dans ces paysages et personnages parfois cyberpunk, parfois organiques. Les monstres présentés dans ce film sont terrifiants et leur déjections contribuent à les rendre d'autant plus grotesques. J’ai d'ailleurs vu des spectateurs très vite quitter la salle tant certaines images sont difficiles à soutenir. Il y a en effet quelque chose de résolument nihiliste (et je déteste cela en temps normal) qui peut très vite choquer, mais la prouesse artistique et l'étrangeté de l'exercice m'ont gardé de partir moi-même.
Je ne sais donc pas exactement décrire ce que j'ai retenu de ce film assurément original, mais présentant une vision du monde bien trop extrémiste tant elle est négative. Il y a de nombreuses références intéressantes qui dénotent une réelle implication de Tippett pour rendre intelligible son film, notamment celles évidentes à 2001 de Kubrick avec l'apparition du mégalithe et certaines scènes psychédéliques comme à la fin de ce dernier. Mais malgré une incroyable direction artistique visuelle, je me détache rapidement de ce réalisateur qui semble être la polarisation extrême de Terrence Malick. La musique est de plus très jolie, un peu mélancolique sans être trop oppressante pour alourdir davantage le film. Elle m'est même apparue parfois un peu en décalage avec la brutalité des images. Le film présente aussi quelques longueurs pour un format finalement assez court. Mais il s'agit tout de même d'une claque visuelle qui tient le spectateur en haleine, dans l’attente d’un dénouement final qui ne survient pas.