Envahie par des fantasmes masochistes qui témoignent de l'insatisfaction sexuelle qu'elle subit avec son mari, le docteur Pierre Sérizy, Sévérine se rend discrètement dans une maison de passe. Elle devient, dans le dos de celui-ci, la troisième pensionnaire de Mme Anaïs. Elle semble y trouver satisfaction en assouvissant les désirs de ses clients mais l'aventure tourne mal quand Marcel, voyou habitué de la maison, s'éprend d'elle...
Adapté d'un roman sulfureux de Joseph Kessel, "Belle de jour" est l'adaptation cinématographique sortie en 1967 du réalisateur Luis Buñuel. D'après ce que je sais du roman original paru en 1928, que je n'ai pas lu, Kessel y explorait le conflit entre "le cœur et la chair". Buñuel propose une lecture marxiste du roman, en y adjoignant certaines scènes d'inspiration surréaliste, notamment dans celles dévoilant les fantasmes de soumission de Séverine. Ses rêveries sado-masochistes m'ont rappelé celles de Valentina, héroïne de Guido Crepax. Mais à l'inverse de Crepax qui explore de manière onirique un versant de la sexualité, Buñuel expose davantage les vices bourgeois.
Le film présente donc une bourgeoise désœuvrée qui s’encanaille avec des prolétaires. Séverine se prostitue pour échapper à l’ennui du carcan bourgeois. On retrouve ici quelque chose que j'avais déjà perçu à la lecture de Morgan Sportès, et plus récemment en relisant Orwell, à savoir le refoulement du bourgeois quant à sa condition. J'ai déjà vu à l’œuvre des bourgeois n'assumant pas de l'être et faisant tout pour s'attribuer les codes du prolétariat. Mais il y a pourtant une ambiguïté dans le traitement d'un prolétariat qui n'est pas représenté ici par la figure révolutionnaire de l'ouvrier, mais par celle de la prostituée et du voyou. Comme si cette part d'ombre était moins hypocrite, plus libre et authentique sexuellement. Cette nuance dans le traitement permet à Buñuel d'éviter la balourdise des artistes influencé par le marxisme qui encensent le prolétariat. Cette polarisation extrême entre une bourgeoisie prude et un prolétariat dépravé n'est pas représentative de la réalité mais permet pourtant de mettre en évidence les rapports de domination. Ce sont les bourgeois qui consomment les prolétaires. Il n'est probablement pas anodin à cet égard d'assister à la dégradation de Séverine par des hommes dominateurs, à la fois dans ses fantasmes et dans la vie réelle. Mon analyse du film est probablement tirée par les cheveux, mais c'est pourtant ce que j'en ai retenu quelques années après l'avoir visionné.
Il y a une certaine pudeur dans le traitement des fantasmes de Séverine qui est renforcée par la douceur de Deneuve à l'écran. Séverine est délaissée par son mari, le gendre idéal bien sous tous rapport, incapable de se laisser aller à l'animalité qu'elle désire. Trop investi dans le travail, il ignore sexuellement sa femme et devient paralysé à la fin du film. Incapable de bouger, Pierre devient physiquement impuissant, en plus de l'être de manière figurée tout au long de l'intrigue. Buñuel critique le rôle de la femme bourgeoise, reléguée aux affaires de la maison et qui ne sert que de faire-valoir à des hommes désinvestis une fois mariés. Il y a presque quelque chose de moderne dans l'émancipation de Séverine, qui serait une lecture plus déviante du "Madame Bovary" de Flaubert. Je n'ai jamais trop aimé Catherine Deneuve, mais son physique pompeux lui permet d'être crédible en bourgeoise. Je l'ai pourtant trouvée fort plate dans ce film. Mais peut-être est-ce aussi une volonté du réalisateur de représenter une femme devenue objet. Objet de désir, évidemment, mais aussi objet de décoration dans un univers bourgeois.
Le développement de Buñuel est fantastique: il y a une idée géniale par scène, avec de la finesse et une inventivité inouïe dans chacune d'entre elles, en particulier dans celles qui explorent les fantasmes inconscients de Séverine. J'ai donc été séduit par ce film, qui présente pourtant un thème frivole qui m'est presque apparu sans intérêt. Je me suis évidemment focalisé sur une lecture de classe, ce qui n'était peut-être pas le propos central du film. Mais je ne pouvais pas m'attarder sur le scandale de l'époque, qui n'est guère choquant aujourd'hui. Premier film de Buñuel qui m'ait été donné de voir, je compte m'attarder davantage sur le reste de son œuvre à l'avenir.