Bon j'veux pas vous raconter mais on apprend, à un moment que des extraterrestres pourraient nous avoir inventés !
Après la lecture d'Oro de Zykë, j'attaque la relecture de cette trilogie de bande dessinée qui m'a fait découvrir cet aventurier. Parue initialement de manière hebdomadaire dans Charlie Hebdo de 2004 à 2012, cette série a été publiée sous forme sérialisée en trois tomes chez L'Association. J'avais vraiment accroché le concept à l'époque de sa parution, à savoir présenter une planche unique tirée de la vie quotidienne des jeunes. A-t-il bien résisté à l’épreuve du temps ? Une récente discussion avec un amateur de bande dessinée sceptique quant au talent de Sattouf m'a convaincu de me replonger dans cette série, pour me rendre compte, avec quelques années de recul, si son avis était justifié ou non. Il m'affirmait que Sattouf ne savait pas dessiner et qu'il tournait en rond tellement sa production d'albums était ahurissante. Qu'en est-il vraiment ?
...Et genre tu l’oublies branchée, tu rentres chez toi, tu regardes ton père: « comment ça 200 litres ? »
L’œuvre de Sattouf est quasi exclusivement consacrée aux jeunes et à leur mode de vie. Et c'est vrai que lorsqu'on recense ses séries on ne peut qu'être frappé par ce point, tellement elles sont nombreuses à traiter ce sujet. Cela est d'ailleurs aussi valable pour ses films. Le jeune est pour Sattouf l'objet comique par excellence: leurs expressions, verbales ou non, sont toujours propices à une gentille moquerie de sa part. Mais il est parfois aussi totalement critique sur la bêtise des nouvelles générations.
L'auteur n'oublie jamais de relever les déformations de langage utilisées par les protagonistes de ces scènes de la vie quotidienne. Il y a donc à la fois de la sympathie et un peu de mépris pour ces jeunes qui inventent une culture à la fois totalement nouvelle mais aussi très souvent débilitante. L'appauvrissement culturel et linguistique dont ils font preuve n'est guère rassurant pour les générations à venir. Mais pourtant le jeune selon Sattouf est souvent débordant d'énergie, d'enthousiasme et de dynamisme. Ce qui est intéressant dans cette série tient au fait que Sattouf ne livre presque jamais directement de jugement sur les jeunes qu'il croque.
Mais ces histoires, parfois difficiles à croire, donnent parfois le sentiment que Sattouf est très réactionnaire. Malgré un progressisme évident sur le féminisme, le racisme ou l'homophobie, j'ai souvent eu le sentiment en lisant ces histoires qu'il représentait une régression de la jeunesse très inquiétante. Les aventures de Pascal Brutal semblent d'ailleurs être le futur logique à cette série sur la jeunesse. L'idiocratie n'est jamais loin avec lui, même si les situations qu'il dessine sont très souvent extraordinaires et pas toujours représentatives de la réalité de la jeunesse dans sa globalité. Bien que neutre dans sa tonalité, Sattouf en tant que témoin trahit parfois ses intentions, à savoir respecter la ligne éditoriale du Charlie Hebdo que j'ai toujours méprisé.
Sattouf dispose d'un regard très juste sur la représentation des forces qui s'affrontent dans la construction intellectuelle de ces jeunes. La culture de banlieue se télescope avec des idées plus conservatrices sur leur éducation. Le caractère choquant de ces histoires repose essentiellement sur des conflits culturels entre les protagonistes. L'émergence d'un islam plus présent dans la société étant un facteur d'incompréhension supplémentaire. Sattouf a vécu en Syrie et connait les travers de la religion en général, et pas uniquement l'islam. Il m'apparait, peut-être à tort, comme quelqu'un de résolument anticlérical qui s'aligne sur le Charlie Hebdo de Philippe Val et des caricatures de Mahomet de 2006.
Mon père me disait: « Patrick, les femmes c’est toujours plus facile d’y entrer que d’en sortir »
Le dessin est précis. Compte tenu de l'échéance hebdomadaire il ne m'est jamais apparu bâclé. Sattouf croque très justement les personnages et leurs expressions. Il a un réel talent de caricaturiste à mon sens. Certes, il ne semble pas aux premiers abords être un maître de la bande dessinée comme l'est Blutch. Mais il a un style graphique trop particulier et un talent indéniable dans la représentation des expressions pour ne pas mériter sa place comme auteur à part entière.
J'avais reconnu Riad Sattouf assis seul dans un café de la rue Charlot à Paris, il y a de nombreuses années maintenant. Je l'avais alors imaginé observateur effréné de la jeunesse, en quête d'inspiration et de matière pour sa chronique hebdomadaire. Il y a parfois un voyeurisme de l’auteur qui est presque gênant tant il est indiscret. Mais il fait pourtant mouche, et plus de dix ans après les dernières planches de la série il n'y a presque plus rien de choquant dans ces histoires vraies qui sont devenues quasi banales aujourd'hui.