Pendant que Diane se déshabille, je retire mon 38 et son holster dont les courroies de cuir neuves m’ont abîmé l’épaule. Puis je prends la Bible du sac de Diane, en arrache une page et roule un cigare de Mango-Rosa, la marijuana locale, excellente, que nous fumerons sous la douche.
L’aventure de Cizia Zykë démarre par quelques beauferies viriles, avec sa femme Diane à Golfito. Après la mort de leur fils le couple mène une vie dangereuse à dealer de la cocaïne ou des armes. Zykë se revendique comme homme libre et aventurier. Individualiste, il ne met sa cause en rien. Ils sont à la recherche d’une opportunité pour se faire de l’argent. Le couple décide de partir trafiquer de l’or au Costa Rica.
Je commence à en avoir marre. Qu’est-ce que je fous ici ? Je suis venu, prêt à tout, pour remonter la pente, mais tout ce que je découvre est vraiment trop minable. Je ne suis pas là pour gratter la terre comme une taupe et sortir quelques grammes de merde ! Même en bouffant la tête à tout le monde et en les faisant travailler pour moi, je ne suis pas sûr de me payer mes cigarettes.
Zykë doit se faire un peu de fric pour survivre. Après avoir socialisé avec des oreros, il se décide à chercher de l’or lui-même.
Je ne m’étais pas trompé sur cette petite frappe vicieuse, elle n’a pas fini de m’emmerder. Je n’ai rien contre les pédés, mais qu’ils me laissent en paix.
Zykë est l'incarnation même de la virilité, du mâle libre. Il fume des gros tatards de Mango-Rosa. Se laisse emmerder par personne. Toute rencontre, tout évènement rapporté est extraordinaire. L'auteur a de plus un certain sens de la tournure de phrase. Il y a tellement de citations à en tirer tellement l’histoire est énorme. J'en retiens celle-cai:
J’aperçois bientôt une bande de singes en haut des arbres. Ce sont des congos, singes hurleurs dont le cri s’entend à des kilomètres. Ils ont des bouilles sympas, et s’arrêtent pour me regarder. Sympas ou pas, j’ai envie de viande. Je tirerais bien, mais la détonation pourrait attirer les gardes forestiers. Dommage.
Zykë, qui dans le récit se fait appeler Juan Carlos, n’a pas peur de tuer un boa pour le manger. Cela me rappelle Peter Steele période Carnivore. Il y a en effet un parfum de fin du monde dans les témoignages de l’auteur. Cette région du globe semble incroyablement sinistrée et décadente. L'auteur décrit d'innombrables scènes de débauche alcoolisée chez les oreros. Sans le dire explicitement, Zykë sous-entend que l'homme 'blanc" conquérant a apporté la misère en Amérique du Sud. La femme est quant à elle reléguée à un rôle de putain.
Il réussit à dénicher un peu d’or mais souffrant de malaria il échoue à l’hôpital où on le croit mourant. Sorti d’affaire, il se repose à San José mais commence déjà à bouillonner d’impatience à l’idée de reprendre l’aventure. Il se fait un réseau dans l’art pré-colombien de contrefaçon. Mais têtu comme une mule et après s’être fait de l’argent avec les faux, il repart en vadrouille et se met en tête de trouver de l’or de nouveau. Il monte une équipe de bras cassés. Expulsé par les flics, il est obligé d’abandonner son filon.
J’ai un chauffeur de taxi attitré, Roberto, un bon gros moustachu et rigolard. Il me fournit en coke et m’apporte chaque jour cinq grammes, ma consommation nocturne.
Pendant ce temps, il joue au casino, se tape plein de putes et prend des montagnes de cocaïne. Son talent caché tient essentiellement à anticiper les mauvais coups grâce à une analyse psychologique implacable des personnes qu’il croise sur sa route. C'est sur cette base qu'il noue des relations et élargit son réseau. Par contre il m’a vraiment déçu en se tapant une jeune adolescente qu’un ancien ami lui offrait sur un plateau en guise de reconnaissance pour un service rendu. J'ai trouvé cela vraiment abject. A force de rencontres, Zykë monte une équipe financée par une compagnie privée dirigée par Herman et Pablo. Il les mène tous à la baguette et impose presque le travail forcé à ses hommes. Je vois passer le terme d’esclave pour désigner ses travailleurs. Il possède surtout un gros flingue, qui tient tout le monde en respect.
Un jour, un serpent est tombé de la falaise directement dans le trou. J’ai dégainé et tiré, et j’ai vu tout le monde sortir en cavalant. Ils m’avouèrent ensuite avoir moins craint l’animal que mes balles qui ricochaient autour d’eux. Ils se demandent sans doute jusqu’où peut aller ma folie ; désormais quand je sors le flingue, ils s’éparpillent rapidement.
Juan Carlos a interdit à ses hommes de toucher les femmes du camp. Alors ils se mettent à enculer une jument. J’avais encore jamais lu un témoignage si décomplexé de zoophilie. Cela en était très perturbant. Les associés de la mine sont tous décontenancés par le caractère insubordonné de Zykë. Ils se décident à le balancer aux narcotiques. Piégé, il échappe une nouvelle fois à la prison, mais c'est pour retrouver d'autres embuches sur le chemin. L'aventure prend donc fin à partir du moment où la justice le met à pied. Il quitte clandestinement le Costa Rica pour le Panama, après avoir récupéré la pépite d'or de trois kilos qu'il avait initialement donné à Herman.
Le roman est plutôt bien écrit. Cela tient essentiellement au fait que Zykë formule ses phrases de manière brute, sans circonvolutions littéraires. Parfois comique, parfois terrifiant, le style de Zykë est au service de l'histoire et s'efface donc naturellement, sans prétentions.
Que retenir de cet ouvrage extraordinaire ? Zykë est indéniablement sans foi ni loi. Mais ne pouvons nous pas aussi affirmer qu'il a malgré tout un sens de l’honneur bien à lui ? D’une certaine façon oui. Il ne balance personne, voire endosse parfois la responsabilité judiciaire de crimes qu'il n'a pas commis pour éviter que ses amis replongent en prison. Punk dans l'âme (le roman se déroule dans les années 80), Zykë est pourtant quelqu’un de très immoral qui aime les jeunes filles et peut parfois écraser tout le monde sur son passage pour se faire respecter. Je ne peux personnellement pas me pâmer devant ce personnage, même si son comique particulier et une certaine idée de la liberté individuelle peuvent me le rendre parfois sympathique. Reste qu'il personnifie très bien une époque désabusée, qui va basculer plus sérieusement dans la dépression la décennie d'après. L'aventure de Zykë sort donc vraiment de l'ordinaire par son côté "no future". J'ai découvert Zykë via Riad Sattouf, qui l'exhume dans sa série de bande dessinée "La vie secrète des jeunes". Même si je n'approuve pas sa conduite, je dois reconnaitre que l'histoire ahurissante m'a tenu en haleine jusqu'au bout.