De villages détruits en marches forcées, nous avons enfin vu des Allemands. C'était la première fois qu'on pouvait reluquer de près nos ennemis. Ils n'avaient pas l'air de mauvais bougres... Ils nous ressemblaient, en somme.
Je ne suis plus habitué à voir de la couleur chez Jacques Tardi. Le deuxième et dernier tome de cette série est pourtant majoritairement monochrome, comme pour signifier le caractère mortifère d'une guerre interminable. La grande guerre, comme d’habitude avec Tardi qui maîtrise son imagier de l'horreur. Tardi et Verney martèlent et n’arrêteront pas de le faire: nous rappeler l'absurdité de la guerre. Message simple mais pourtant tellement salutaire. A force de la dessiner je n'associe d'ailleurs la grande guerre que sous le trait si brut de Tardi. Jean-Pierre Verney avait d'ailleurs déjà collaboré avec lui dans « C’était la guerre des tranchées ».
L’histoire de la première guerre mondiale est donc ici racontée par le prisme d’un ouvrier tourneur en métaux de la rue des Panoyaux à Paris. Le prototype même de l'anti-guerrier broyé, contraint à participer au massacre par des chefs inaptes, sanguinaires et bien planqués derrière leurs fauteuils. Des citations des responsables de la guerre ornent chaque nouvelle année du récit, toujours plus puantes au fur et à mesure qu'elle s'éternise. Avec la défiance envers ces marionnettistes qui gouvernent, il y a dans le ton des auteurs un parfum d'anarchisme qui sied très bien au propos.
Il fallait qu'elle dure encore et encore, cette guerre. Et après celle-là, il y en aurait d'autres. La "der des ders", ça me faisait bien rigoler ! C’était comme ça depuis Cro-Magnon. De la guerre du feu à celle pour le pétrole ou les bananes, et toujours la même chanson - la chanson des os qu'on broie - aucune raison que ça cesse !
Le récit ne s'arrête pas en 1918 à l'armistice, mais à la fin de l’année 1919. L'an zéro qui démarre par une énorme gueule de bois permet aux auteurs de railler tous les protagonistes de cette guerre absurde, malgré parfois de la pitié pour les plus grosses victimes.
Jean-Pierre Verney achève les deux tomes par un récapitulatif historique par année de guerre que j’ai lu en diagonale. Et même s'il y a dans cet ouvrage un parfum de redite dans l'oeuvre de Tardi, je ne peux que saluer le travail tant historique que graphique des deux auteurs.