Petit Rouge

Pour en finir avec le cinéma - Blutch

27/01/2023

TAGS: blutch, bd, cinéma

Regarde le… tout du long, l’artiste de cinéma livre à tout le monde le spectacle de sa lente décrépitude…

Il y a finalement quelque chose de très pédant chez Blutch, même si je peux toujours le nuancer, le comprendre ou le justifier. Cela se vérifie en particulier dans cet ouvrage. J’étais initialement conquis par son goût indéniable en matière de cinéma, mais il y a malgré toute l’autodérision dont il fait preuve, une coquetterie, un maniérisme dans ces courtes histoires. Mais peut-être y’a t’il un autre niveau de lecture qui m’ait échappé ? Il est donc ici question d’en finir avec le cinéma, ou plutôt la cinéphilie. L’érudition autour de ce médium apparaît surfaite. Mais pourtant Blutch en abuse lui-même tout au long de l'ouvrage.

Je tiens la cinéphilie pour une pratique masturbatoire.

L’ambivalence de Blutch tient essentiellement à un rapport d’amour et de haine envers le septième art. Le cinéma a largement influencé Blutch dans son travail artistique, à la fois dans ses aspects les plus populaires ou ceux plus sérieux d'un art plus institutionnel et consacré. Le contradicteur de Blutch dans cette bande dessinée est presque toujours une femme, ce qui ne me surprend pas tellement tant l’érudition au sens large m’est toujours apparue comme une discipline purement masculine, un combat de coq viril et pathétique. La femme est toujours l’objet de désir au cinéma, et dans la bande dessinée comme Blutch la présente. Espiègles, limite effrontées, les femmes de Blutch ont souvent un caractère bien trempé et plus terre à terre que les hommes. Elles tournent en ridicule le cinéphile pédant qu’il est, et deviennent par là-même les personnages les plus intéressants de l’ouvrage.

Tu me fais l’effet déplorable de ces imbéciles qui connaissent les répliques des « Tontons flingueurs » par cœur, et qui, pire que tout, les récitent en public !

Le style graphique est comme d’habitude maîtrisé, même si la couleur ne m’a pas semblé pertinente ou juste. Je l’ai trouvée un peu trop synthétique et moins audacieuse dans sa palette que dans « Lune l’envers ». Elle m'ont donné l'impression d'avoir été produite par ordinateur.

Quant au propos, même si la conclusion de l’ouvrage semble indiquer un rideau final qui enterre une certaine idée du cinéma, il reste volontairement flou et indécis. L’amour de Blutch pour cet art n’est pas complètement démenti, même s’il y a cette autodérision qui semble le mettre à mal. La conscience que Blutch a d’un cinéma cinéphile comme d’un « art masturbatoire » est ambiguë. Il reste un cinéphile averti, avec des positions affirmées sur ce médium. Car il peut aussi être lu au premier degré, sous la forme d’un hommage aux acteurs et réalisateurs qui ont façonné l’impressionnante culture de Blutch: Michel Piccoli, Luis Buñuel, ou Burt Lancaster (les plus représentés dans l'ouvrage).

Je me sépare sans trop de difficulté de cette œuvre, que je trouve pour une fois un peu en dessous de ce que Blutch a proposé de meilleur. Il me restera pourtant en tête cette intelligence et finesse d’esprit d’un auteur tellement au dessus de la mêlée sur le fond et la forme, que même en mettant en avant ses propres défauts élitistes, reste le plus grand auteur français de ces dernières décennies.