Petit Rouge

In vino veritas - Søren Kierkegaard

07/01/2023

TAGS: kierkegaard, essai

L'ouvrage démarre par une digression poetico-philosophique sur le souvenir et la mémoire.

Puisqu'un souvenir n'existe que pour soi, tout souvenir est un secret.

Ce premier texte ressemble à un flux de conscience érudit. Il ne semble pas y avoir de fil conducteur. Il s’intitule « Un souvenir ». Raconté par Viliam Afham, probablement un des alter ego de Kierkegaard, il est absent du texte qui suit et rappelle la falsification de la mémoire. Le texte reprend ensuite sous une tournure plus classique: cinq convives sont réunis autour d’un banquet, dont Johannes le séducteur. Il est question de discourir sur l’amour, le tout arrosé de vin. Plusieurs appels du pied à la tradition antique: Dionysos, Platon. Ce texte s’inscrit dans le moment esthétique de Kierkegaard: ce premier stade de jouissance étant celui qui anime la vie humaine. Les quatre premiers discours m'ont semblé très pédants. Ils se bourrent bien la gueule pourtant.

Hélas! si à mon tour je voulais remercier les Dieux à la manière des Grecs, je pourrais le faire pour ce qui m'a été refusé. Je veux donc me recueillir en mon âme pour leur rendre grâce du seul de ces biens qui m'ait été accordé : avoir été un homme et non une femme.

Énorme misogynie de la part des quatre premiers convives. C’est presque du papier gâché à ce stade. Les éditeurs ont-ils lu cette bouillie sexiste ? Il y avait davantage d’intrigue dans « Le journal du séducteur ». Pas ici. Johannes tempère les quatre autres convives, qui sont selon lui des amoureux frustrés:

Mais vous, vous êtes des amoureux malheureux, c'est pourquoi vous voulez transformer la femme. Que les dieux nous en préservent ! Telle qu'elle est, elle me plaît absolument.

Johannes finit le tour des discours sur l’amour et la femme par un éloge de cette dernière. Il est l’ultime jouisseur de la vie. Cette attitude hédoniste à l’extrême me rappelle l’unique de Stirner: une jouissance égoïste qui serait exclusivement stérile.

J'éprouve une joie très grande à proclamer que le sexe faible loin d'être inférieur à l'homme lui est au contraire supérieur. Cependant, je vais déguiser mon discours dans un mythe, et je serais satisfait de la part de la femme que vous avez si injustement offensée, si ce discours pouvait être la condamnation de vos âmes, en vous montrant que la jouissance vous fuit comme les fruits de Tantale, pour la bonne raison que vous les avez fuis vous-mêmes, et que vous avez offensé la femme.

La parabole finale remet les pendules à l'heure:

C'était une ruse de la part des Dieux. Ils formèrent un être trompeur, une enchanteresse; à l'instant même où elle ensorcelait un homme, elle se transformait et l'emprisonnait sous le vaste filet du monde fini. Les Dieux en avaient décidé ainsi. Mais quel être plus délicieux, plus joyeux, plus enchanteur que celui inventé par eux, luttant pour leur règne, et seul capable d'attirer l'homme ! Il en est bien ainsi, la femme est cet être unique, l'être le plus séduisant au ciel et sur terre. Comparé avec elle sous cet aspect, l'homme n'est qu'une victime très imparfaite.

Johannes justifie tout de suite après la séduction en ces termes:

Et la ruse des Dieux triompha. Mais, elle na pas toujours réussi. A chaque époque, quelques hommes surgissent, quelques isolés qui décourvent la supercherie. Ils perçoivent bien les charmes de la femme, et plus que n'importe qui, mais ils devinent la manière dont les choses se sont passées. Je les appelle les érotiques, et je me compte moi-même parmi eux; les hommes les appellent des séducteurs, et la femme n'a pas de nom pour les désigner, car pour elle, ils demeurent indéfinissables. Les érotiques sont les heureux de la vie.

Ce qui justifie le moment de jouissance de Kierkegaard. Dans le contexte du récit, ce dernier, à travers Johannes, insiste sur la complémentarité et l’égalité de la femme par rapport à l’homme. Le récit devient limpide, là où celui des quatre premiers convives était confus. Le séducteur multiplie les conquêtes, inlassablement. Le mariage est pour Johannes la fin de la séduction.

Que déduire de cette lecture ? Expose-t-elle les multiples points de vue de Kierkegaard ou alors seule la conclusion de Johannes est à retenir ? Je n'ai pas particulièrement apprécié cette lecture, hormis la fin, plus respectueuse de la femme et davantage hédoniste. Mais je n'abandonnerai pas ce philosophe à l'avenir, il me reste beaucoup d'ouvrages intrigants à lire de lui.