Sous-titré « Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles ».
J'adorerais pouvoir parler de l'amour comme d'une sphère à part, une oasis, un sanctuaire. Mais je bute de plus en plus sur un obstacle. Qu'il s'agisse de situations d'oppression révoltantes ou d'incompréhensions certes pas tragiques, mais terriblement frustrantes, tout un arc de situations diverses, observées dans la société, dans mon entourage ou dans ma propre vie, font grandir en moi l'envie de prendre à bras-le-corps le sujet de l'amour hétérosexuel. Durant mon adolescence, rien ne venait remettre en question la vision idyllique donnée par les films ou les romans, et je crois bien avoir nourri pendant assez longtemps l'illusion que les inégalités, la domination, la violence étaient absentes de nos vies sentimentales.
Longue introduction, qui permet à Chollet de préparer le terrain. Je m’y suis parfois reconnu (un peu):
La tendance de certains à perdre tout intérêt pour une femme une fois qu'ils ont couché avec elle peut elle aussi être interprétée comme un signe de cette pseudo-hétérosexualité, ou hétérosexualité superficielle : ces hommes manifestent non pas un intérêt pour la personne et la relation elles-mêmes, pour la façon dont elles pourraient enrichir leur vie, mais un simple besoin de « conquête », de gratification narcissique, afin d'améliorer leur statut ou leur image.
Mona Chollet explore la psychologie féminine pour détecter le poids du patriarcat dans la construction d'une femme par rapport à l'amour. Elle déconstruit les idées reçues, en particulier celle qui stipule que la romance à l’eau de rose serait uniquement pour les femmes et que l'amour ne s'exprimerait pour les hommes que dans la violence.
Notre culture amoureuse est donc à la fois conformiste et morbide (et misogyne).
Il y a donc cette idée que l’amour hétérosexuel est systématiquement construit sur un rapport de domination. Chollet expose méthodiquement les différentes et multiples injustices que subissent les femmes en matière d'amour.
La séduction masculine se définit par le surplus; la séduction féminine, par la carence.
Elle décrit notamment la femme poupée, en particulier personnifiée par les femmes asiatiques soumises et quasi-inexistantes. A l'inverse, la femme "sauvage" (noire ou arabe), sera évitée par les hommes sur le long terme car considéré plus sexuelle et insaisissable. La violence masculine, comme réaction du patriarcat, s'exprime selon Chollet sur tous les pans de l'amour. Elle tente de comprendre comment s’explique l’attirance de certaines femmes pour des hommes violents (y compris parfois pour des tueurs en série). Mona Chollet expose la banalisation de la violence conjugale dans les éditoriaux des journaux. Les médias sont ici décriés comme vecteurs de la violence misogyne.
L’amour serait donc uniquement réservé aux femmes. Et le conditionnement des hommes les rendent imperméable à ce concept. Chollet exhorte les femmes à se reprendre en main. Le changement impulsé par la libération de parole suite à l'affaire Weinstein doit donc servir aux deux camps: hommes et femmes doivent prendre conscience et changer de logiciel.
Quand une femme est cataloguée comme trop exigeante, elle ne fait bien souvent que réclamer la réciprocité des attentions qu'elle prodigue.
Mona Chollet finit son ouvrage en déjouant la femme objet sujette au désir de l’homme. Elle évoque le male gaze et dénonce la sexualisation du corps féminin. Elle aborde aussi le sujet des fantasmes: ceux qui sont réprimés et sujets à la culture du viol. Selon elle, les femmes fantasment parfois le viol pour son caractère transgressif, comme une réaction libératoire à une pression masculine insoutenable.
J'ai été agréablement séduit par cet essai, même si j'ai trouvé qu'il manquait probablement une conclusion en réponse à la longue phase introductive. Mona Chollet expose des faits et connaissances accumulées sur une longue période de réflexion personnelle (une vie entière, finalement), en incorporant son propre ressenti à l'essai. Son écriture est claire et fine, sans aucune outrance. J'ai de plus trouvé son travail très bien sourcé. Je m'intéresserai davantage à son travail à l'avenir.