Petit Rouge

Electrochoc - Laurent Garnier & David Brun-Lambert

03/11/2022

TAGS: garnier, autobiographie, musique

Quelque chose de brûlant venait d’entrer dans ma vie : la house music.

Autobiographie musicale de Laurent Garnier. Son histoire démarre à Londres et au Mud Club. Puis à Manchester et l’Haçienda. Superbe témoignage de l’explosion de la house de Chicago en Europe, Garnier aura beaucoup joué pour son importation en France, au Rex Club notamment. Adoptée par la communauté gay française, Garnier a vécu l’avènement de cette musique et en devint son missionnaire en Europe. Il raconte aussi l'arrivée de l'ecstasy dans les clubs, puis les raves. Garnier a fait face aux obstacles: la house était considérée comme une musique de pédés en France ou de drogués en Angleterre.

 À 7 heures du matin, en sortant d’un club où j’ai travaillé toute la nuit, je croise les gens qui partent subir une journée de plus dans des jobs qu’ils n’ont pas choisis, et dont pour la majorité ils n’ont rien à cirer ! Salut les gars, moi je rentre me coucher !

Il y a beaucoup d'enthousiasme dans les premiers chapitres. Mais Garnier relate déjà les querelles de paroisse au fur et à mesure que l'adoption des musiques électroniques devient inéluctable:

 La scène house parisienne était encore microscopique et elle se crêpait déjà le chignon ! Tu parles d’une ouverture d’esprit ! C’est curieux, cette mentalité franchouillarde. Dès qu’on se bat pour construire quelque chose et développer son travail on est considéré comme le dernier des vendus ! La France doit être l’un des seuls endroits dans le monde où la réussite est considérée comme suspecte. 

Garnier est partout mais semble chez lui nulle part. Français chez les Anglais. Anglais chez les français. Trop connoté gay pour les soirées Mozinor. Blanc chez les noirs de Detroit. Invité dans cette ville par Kenny Larkin, Garnier déconstruit l’idée de ville sanctuaire de la techno. Si la techno telle qu’on la connaît est bien née là-bas, ce n’est pas pour cette raison que tout ce qui vient de cette ville est génial d’un point de vue musical. Et il n'hésite pas à recadrer les Européens qui se pâment devant chaque production estampillée "Detroit".

 Mais globalement, fric et star system étaient devenus le quotidien de la nuit anglaise. Dans ce système, la magie n’avait plus beaucoup de place. 

Au fil du temps, Garnier décrit les dérives avec le succès et l’engouement pour la techno grandissant. Et même s'il reste optimiste quant au futur de cette musique, il y a tout de même chez lui quelques pointes d'amertume et de désillusion.

 Qu’obtient le Dj en échange de cette déferlante d’énergie ? Un extraordinaire sentiment de puissance, voire de domination ! 

Laurent Garnier, malgré son enthousiasme débordant, ne reste pas moins sensible à cette aura de pouvoir. Qui préfigure la consécration du DJ comme la nouvelle rock star. Plus loin il n'aura pas de pitié pour les DJs stars, et je trouve cela presque gonflé de sa part.

 La techno fut bel et bien la dernière révolution musicale du siècle, mais c’était il y a quinze ans; aujourd’hui, elle est arrivée à la fin d’un cycle. Elle n’est plus la musique du futur. Et pour trouver un nouvel élan il lui faudra s’ouvrir à d’autres horizons musicaux, se réinventer. 

Son parcours hallucinant lui permet d'avoir une vision macroscopique très pertinente sur l'évolution des musiques électroniques. Garnier réactualise son autobiographie avec les dernières mises à jour dans cet univers.

 Là, les Djs sont devenus des accessoires de mode. 

Défendre David Guetta et conspuer Avicii ou Steve Aoki ? Pourquoi pas, mais les partis pris de Garnier l’exposent aux critiques. J’aime pourtant bien sa propre autocritique. Garnier n’est pas un énorme producteur. Il reconnaît lui-même ses limites en tant que compositeur. Il est par contre un super DJ, j'ai pu le constater par moi-même au PIAS Nites à Bruxelles en 2012. Mais il a été malin et son historique lui aura permis de se faire aider, d’avoir un réseau pour l’aider à produire quelques tueries. Comme "The Man with the red face", classique absolu.

Le livre souffre de grosses longueurs sur la fin. J'ai presque lu les derniers chapitres en diagonale. J'ai pourtant dévoré ce compte-rendu de nuits de bonheur techno. Malgré le fait que je connaissais pas trop mal l'historique des musiques électroniques, j'étais ravi de lire les anecdotes et sentiments de Laurent Garnier.