Pendant quinze ans, le Dr Sanders a soigné les lépreux en Afrique avec les docteurs Max et Suzanne Clair. Mais les Clair sont partis depuis quelques mois pour Mont-Royal, une petite ville perdue dans une forêt du Cameroun et ils lui ont envoyé une étrange lettre, l'incitant à les rejoindre. Malheureusement, il est devenu impossible d'atteindre Mont-Royal. Le mutisme de la police, et des préparatifs militaires laissent prévoir une situation grave. Mais en compagnie d'une jeune journaliste française, Sanders s'enfonce clandestinement dans la forêt. Et soudain, ce sont des arbres entièrement cristallisés, des oiseaux et des crocodiles comme sculptés dans le quartz. Et surtout, il semble que dans la forêt envoûtée, le temps ait une dimension inversée, que la mort soit plus douce que la vie.
Encore un docteur pour protagoniste principal ! A croire que Ballard se met en scène... Le docteur Edward Sanders est en route vers une léproserie au Cameroun. Il part rejoindre Suzanne et Max Clair, d’anciens collègues. Un parfum de mystère entoure la région dès son arrivée à Port Matarre...
Rira bien qui rira le dernier; vous, j'espère. La mort et sa faux, hein ? (Ventress)
Sanders rencontre Louise Péret, une journaliste française en reportage dans la région, dont la ressemblance avec Suzanne le frappe. Il finit par trouver un moyen de rejoindre Mont Royal avec elle et le commandant Aragon de l'armée française.
Il nous est devenu à tous évident à présent que dans la forêt la vie et la mort ont un sens différent de celui qu'elles ont dans notre terne monde ordinaire. Là, nous avons toujours associé le mouvement avec la vie et le passage du temps, mais d'après mon expérience dans la forêt près de Mont Royal, je sais que tout mouvement mène inévitablement à la mort et que le temps est son serviteur.
Sanders a une illumination. Il relate son expérience de la foret de cristal dans une lettre a un ancien collègue. Cette aventure lui permet de retrouver une forme d'espoir après des années d'exercice en léproserie.
L'optimisme inné de l'humanité et notre conviction que nous pouvons survivre à tout déluge et tout cataclysme sont tels, que la plupart d'entre nous, assurés qu'on trouvera quelque moyen de parer à la crise quand elle se produira, oublient avec un haussement d'épaules les événements d'importance capitale de la Floride.
Ce roman est donc une nouvelle fable écologique de Ballard. La précédente citation est tellement actuelle... Et même si les explications du phénomène de cristallisation frisent une science-fiction peu convaincante (ce qui m’a un peu surpris venant de Ballard, bien qu'il s’agisse aussi d’une de ses premières œuvres), Sanders est convaincu d’avoir trouvé l’explication du phénomène. Avec Ballard la folie n’est jamais très loin... Mais comme chez Lovecraft on doute souvent: folie ou réalité ? Cette lecture m'a souvent rappelé « Apocalypse Now » de Coppola: une rivière dans la forêt, un lieu hors du temps, des protagonistes en proie au doute qui perdent peu à peu les pédales...
Sanders retrouve les Clair. Il remarque immédiatement que Suzanne a les premiers symptômes de la lèpre. Et, malgré la ressemblance entre les deux femmes, Louise est lumineuse alors que Suzanne avec sa lèpre naissante est sombre. Ballard joue avec les dualités dans ce roman: ombre et lumière, temps et espace, mort et immortalité. Les protagonistes choisissent d'ailleurs deux camps distincts: la foret ou le monde extérieur préservé du phénomène. La foret de cristal est donc à la fois féérique et cauchemardesque selon les points de vue des différents protagonistes.
Le phénomène de cristallisation est très bien décrit et crédible. Je suis rarement intéressé par les scènes de description en littérature, mais là je me suis totalement laissé envouter par celles de Ballard. Les lépreux qui ont rejoint la foret sont magnétisés par sa pureté: ils s'y perdent et avancent comme les zombies du film « Le prince des ténèbres » de Carpenter. Sanders réalise en les observant que la foret leur apporte la rédemption.
Sanders, utilisé comme appât par Ventress pour récupérer sa femme Séréna kidnappée par Thorensen, finit par s’échapper de la forêt de cristal. Sanders laisse partir Louise, qui ne souhaite pas le suivre. Rattrapé par la lèpre, il décide de retourner dans la foret après quelques jours de convalescence pour se transformer lui aussi comme le père Balthus et Suzanne, convaincu que le phénomène de cristallisation est un pas vers l’éternité. La progression mondiale du phénomène est de toute façon trop forte: la catastrophe est inéluctable, le temps joue contre l’humanité.
J'ai été conquis par ce roman que j'ai tant tardé à lire: c'est évident, car Ballard explore des thèmes antiques avec son regard si particulier, que j'affectionne depuis longtemps maintenant. Il y a une symbolique qui m’échappe un peu dans cette œuvre, même si je crois comprendre que le cristal, comme symbole de pureté, évoque aussi le temps suspendu, figé. C'est probablement ce qui fascine Sanders, Suzanne, Balthus et les lépreux. La manière dont il traite l'immortalité à travers la catastrophe écologique, bien que dérangeante car il semble y voir une renaissance pour l'humanité, est extrêmement bien amenée. Ballard arrive a trouver dans la catastrophe écologique et la fin de l'humanité un espoir, un optimisme par la délivrance. Il développe de plus à merveille la psychologie des personnages, en particulier celle de Sanders comme médecin désabusé par son manque d'impact envers les lépreux, qui fait écho à la perte de foi du père Balthus. Ce dernier voit son salut et l'immortalité non plus dans le paradis religieux, mais dans cette foret qui va le figer pour l'éternité...