Comme elle lui donne du plaisir, qu'elle ne manque jamais de lui donner du plaisir, il s'est peu à peu pris d'affection pour elle. Et il croit que, dans une certaine mesure, cette affection est réciproque. L'affection n'est pas l'amour, mais ces sentiments entretiennent une relation de cousinage. Vu les débuts peu prometteurs de leurs relations, ils ont eu de la chance, l'un comme l'autre : lui de tomber sur elle et elle sur lui.
Au début du roman, David consomme Soraya, la prostituée musulmane. Il la suit chez elle, l'observe et finit par l'importuner en l'abordant hors son contexte de "travail".
C'est à ça que servent les putains, après tout: elles encaissent les extases des êtres disgracieux.
David Lurie est donc un gros lourdaud de 52 ans qui lorgne sur une de ses élèves, Mélanie Isaacs. Il réussit à coucher avec elle. Elle finit par porter plainte contre lui pour harcèlement sexuel.
Est-ce qu'elle sait qu'elle lui a tapé dans l'œil ? C'est probable. Les femmes sentent cela d'instinct, elles sentent le poids des regards chargés de désir.
Il plaide coupable, mais avec une telle mauvaise foi qu'il est contraint de démissionner sans aucune forme d'arrangement. Il prend cher par la direction parce qu’il représente le patriarcat, le mâle blanc dominant qui n'émet aucun remord face à son attitude. Cette lecture m'a très rapidement rappelée "La Tache" de Philip Roth.
Sa tête est devenue le refuge de vieilles idées, qui flottent là, stériles, indigentes, n'ayant nulle part où aller. Il devrait les chasser, faire le ménage. Mais peu lui importe de passer le balai là-dessus, ou du moins cela ne lui paraît pas assez important pour s'en donner la peine.
Il se réfugie chez Lucy, sa fille lesbienne. Elle mène une vie complètement manuelle et paisible dans la campagne profonde de l'Afrique du Sud, différente de celle de David qui est piteusement intellectuelle. Il ne réalise pas que son amour pour Byron est tout aussi futile que l’engagement envers les animaux de Lucy qu’il semble railler à son arrivée chez elle.
Mais ils se font agresser par trois types. L’un d’eux crame la tête de David avec de l’alcool à brûler. Lucy se fait violer en bande organisée. On apprend toujours tardivement avec Coetzee que les protagonistes sont de couleur. Brûlé, David devient hideux alors qu’il était séduisant avant le drame. Il tentera en vain de retrouver un semblant de dialogue avec Lucy après ce drame. Pris de remord et en proie à une timide quête de rédemption, il reprend contact avec le père de Mélanie Isaacs. Mais en tant qu'athée, David ne peut comprendre le pardon du père pieux. David retourne chez Lucy et couche avec Bev Shaw, la gérante du SPA, qu'il trouve pourtant hideuse.
Il a en tête une image de Byron, seul sur la scène, qui prend sa respiration pour chanter. Il est sur le point de partir pour la Grèce. A l'âge de trente-cinq ans, il commence à comprendre que la vie est précieuse.
Cette histoire parle d'une génération qui tourne difficilement la page de l'apartheid. Esthète autoproclamé, il justifie la médiocrité de sa vie de prédateur sexuel par ses idéaux artistiques, pour s'abandonner au final à la vie simple de la campagne. Après être revenu au Cap, il revient près de sa fille, qui lui apprend qu’elle est enceinte d’un de ses violeurs. Il décide de rester et entend aider Bev à s’occuper des chiens.
Ce roman est donc l'histoire d'une disgrâce, d'une volonté de vengeance et d'une rédemption. J'ai trouvé que l'ensemble manquait de subtilité pour la partie féministe, même si elle permet à Coetzee de généraliser le mal blanc. Mais par contre, ce roman est brillant dans sa manière de rappeler que l'homme blanc a apporté, en plus de l'asservissement, une culture qui n'avait tout simplement pas lieu d'être en Afrique du Sud, et qui doit donc disparaître. David renonce à écrire son opéra sur Lord Byron. Il décide de tuer des chiens avec Bev, et adhère pleinement à la bestialité et la violence de l'Afrique du Sud post-apartheid en abandonnant son statut d'intellectuel. L'homme blanc doit payer les crimes de l'apartheid, et l'apaisement apparaît impossible dans ce pays déchiré par la violence.
Mais est-ce tout simplement crédible ? Un esthète en littérature qui justifie sa conduite de prédateur sexuel par son érudition et des références pompeuses à Byron ? J'ai du mal à y croire, il s'agit probablement d'une déformation professionnelle de Coetzee, qui est professeur de littérature. Ceci explique malgré tout que l'ouvrage est très bien écrit par contre, et se lit très vite.