Petit Rouge

Les limites à la croissance (dans un monde fini) - Dennis Meadows, Donella Meadows & Jorgen Randers

19/04/2022

TAGS: meadows, randers, essai

La préface des auteurs ne fait que constater l'absence d'écho à leurs mises en garde.

Pour nous, dès le début des années 1990, il n'était plus question d'éviter le dépassement par des politiques avisées puisque le dépassement était déjà là. La tâche principale consistait donc plutôt à "ramener" le monde en territoire soutenable.

Cet ouvrage est une version augmentée, 30 ans après, des bestsellers précédents. Paru initialement en 1972, cette réactualisation utilise de nouvelles données d'entrée. Les premiers chapitres s'attachent à décrire les dangers d'une croissance exponentielle dans un monde fini:

Une économie croît de façon exponentielle dès lors que l'autoreproduction du capital n'est pas entravée par des facteurs tels que la demande, la disponibilité de main-d'oeuvre, les matières premières, l'énergie, les fonds d'investissement ou quoi que ce soit qui est susceptible de freiner la croissance d'un système industriel complexe.

La machine s'emballe et les auteurs ne cesseront pas, tout au long de l'exposé, de marteler les dangers potentiels d'une croissance infinie:

Mais nous restons convaincus que les processus de croissance de la population et de l'industrie constituent les principales forces qui entraînent la société mondiale au-delà des limites et c'est sur ces processus que nous allons mettre l'accent.

Il y a chez ces chercheurs une mécanique de pensée de gauche à l'américaine qui comprennent les dynamiques de création de croissance par le creusement d'inégalités ahurissantes. Sans remettre en cause le marché libre toutefois, les auteurs appellent à davantage de régulation.

Un siècle de croissance économique a donc laissé un monde dans lequel les disparités entre riches et pauvres sont colossales.

L’explication est simple: les pauvres font des enfants (pauvres) ce qui implique que la population croît sans s’enrichir. Pour autant, il ne s’agit pas pour les auteurs de fustiger la croissance dans son intégralité, mais de la repenser et de n’en retenir que les aspects positifs. Cette pensée écologique ne remet pas en cause l'apport technologique, mais la questionne quand il échappe au contrôle des populations et n'est pas assez mesuré dans son impact sur notre environnement. La technologie permet l'exploitation intensive du sol à un rythme insoutenable, car il faut nourrir la population mondiale qui croît. L’eau pourrait être un enjeu critique dans les décennies à venir. Les auteurs préparent le lecteur aux scénarios catastrophe qui pourraient survenir suite à un manque de recul par rapport à l'usage des technologies. Ils insistent sur les spirales infernales causées par des boucles de rétroaction stressées par une croissance exponentielle.

La durabilité de l’eau n’est pas possible sans une durabilité du climat, qui elle même implique une durabilité énergétique. Les hommes sont face à un vaste et unique système où tout est lié.

J'ai trouvé amusant la référence à Seldon et à la Fondation d’Asimov comme point de départ au modèle World3. Ce rappel à la psychohistoire est justifiée par une mise en garde sur les limites du modèle défini par les auteurs. Ils nous rappellent, à travers Asimov, qu'il n'est pas possible de prédire le futur, mais de tenter d'esquisser les routes possibles:

Un modèle est une représentation simplifiée de la réalité.

Plus loin:

Les modèles étant toujours des simplifications, ils ne sont jamais totalement fiables et ne détiennent pas la vérité.

Le modèle World3 est donc destiné à donner une piste pour aider l'humanité à repenser sa place dans un monde fini. Les analyses de l'équipe mettent en garde, et alertent sur l’effondrement à venir:

Autrement dit, l'humanité est en dépassement lorsque son empreinte écologique se situe au-dessus du niveau soutenable, mais n'est pas suffisante pour la pousser à déclencher les changements qui vont la faire baisser.

Les auteurs entrevoient une lueur d’espoir lorsque l’humanité réagit suite au trou de la couche d’ozone imputable au CFC. Les limites ont été dépassées, mais des mesures ont été prises.

Tout laisse penser que nous avons toujours fait la part trop belle à la contribution du génie technologique et sous-estimé celle des ressources naturelles... Nous avons besoin de quelque chose que nous avons perdu dans notre empressement à refaire le monde : un sens des limites, une prise de conscience de l'importance des ressources terrestres. (Stewart Udall)

Ils énumèrent différents scénarios avec de multiples paramètres d’entrée pour étayer leur propos. Certains sont optimistes, d’autres pas du tout. On sent qu’il y a chez eux un souci de rigueur pédagogique dans leur transparence par rapport au fonctionnement du modèle World3. Sa définition, les entrées qui l'alimentent et les sorties qu'il génère sont le fruit d'une réflexion méticuleuse.

Après avoir énoncé les scénarios où des changements structurels ont lieu, ils en arrivent à décrire la société durable.

Il existe bien des façons de définir la durabilité. La plus simple consiste à dire qu'une société durable est une société qui perdure sur des générations et des générations et qui est suffisamment prévoyante, flexible et réfléchie pour ne pas fragiliser les systèmes physiques ou sociaux qui la sous-tendent.

La conclusion tangue entre espoir et désespoir: les auteurs effectuent des recommandations pour une société durable, mais n'oublient pas de mettre en garde sur l'urgence des mesures pour y parvenir. Ils préconisent de renouer avec « l’inspiration, le travail en réseau, l’honnêteté et l’amour ».

Nous avons dit à maintes reprises dans cet ouvrage que l’humanité n'est pas confrontée à un avenir prédéterminé, mais à un choix. Un choix entre différents modèles mentaux qui, logiquement, conduisent à différents scénarios. L'un de ces modèles mentaux soutient que notre monde n'est pas confronté à des limites pour plein de raisons pratiques. Si l'on choisit ce modèle, on prône la poursuite des activités comme l'accoutumée et on conduit l'économie humaine très loin au-delà des limites. Cela se traduit par un effondrement.

L'exposé m'a parfois déprimé, découragé. Les auteurs gardent pourtant une foi dans la capacité de réactivité de l'humanité, qui ne m'a pas convaincu. Reste que ce rapport a probablement eu une influence déterminante chez Latouche et les décroissants. Ces derniers ont tenu a rédiger de véritables manuels de sortie de croissance. L'effet de réseau évoqué dans la conclusion a porté ses fruits. Il ne reste plus qu'à les mettre en application...