La Révolution ne sera complète que le jour où le langage sera parfait (1984)
L'essai démarre par une citation d'une stupéfiante actualité:
Après ce que j’ai vu en Espagne j’en suis venu à la conclusion qu’il est vain de vouloir être “antifasciste” tout en essayant de préserver le capitalisme. Le fascisme, après tout, n’est qu’un développement du capitalisme, et la démocratie la plus libérale – comme on dit – est prête à tourner au fascisme à la première difficulté […]. Si quelqu’un entendait collaborer avec un gouvernement capitaliste-impérialiste dans le cadre d’une lutte “contre le fascisme” (c’est-à-dire en fait contre un impérialisme rival) il ne ferait que permettre au fascisme de rentrer par la porte de derrière. (Orwell)
Orwell fait preuve d'une incroyable lucidité sur la guerre à venir, à la signature du pacte germano-soviétique. Une prise de conscience politique et sociale qui démarre sur le quai de Wigan, puis lors de son engagement en Catalogne.
Michéa décrit le cheminement intellectuel d'Orwell et de ses maturations intellectuelles. Jusqu'à en arriver au mépris des intellectuels dans leur totalité. Trop déconnectés des petites gens et trop enclins à lorgner sur le pouvoir. Orwell, en fin observateur, comprend que l'intellectuel est systématiquement soumis à l'idéologie et verse trop facilement dans le totalitarisme par son détachement de la réalité.
Ce que j'ai voulu par dessus tout au cours de ces dix dernières années c'est transformer l'écriture politique en art (Orwell)
L'importance chez Orwell du langage, du sens des mots. Et évidemment la clarté, la simplicité, cette limpidité exceptionnelle qui le rend unique dans le paysage intellectuel du vingtième siècle. Jusqu'à la conceptualisation de la novlangue comme langue de bois poussée à l'extrême, perversion du langage qui dénature son sens.
Le vrai est un moment du faux (Debord)
On retrouve cette idée déjà présente dans "La ferme des animaux" que la vérité disparaît par les contorsions, les distorsions du langage.
Les travailleurs manuels, dans une civilisation industrielle, possèdent un certain nombre de traits qui leur sont imposés par leur condition d'existence : la loyauté, l'absence de calcul, la générosité, la haine des privilèges. (Michéa)
Mais n'y aurait il pas chez Orwell (et donc aussi pour Michéa) une idéalisation du prolétariat et des petites gens ? La common decency d'Orwell chère à Michéa représente davantage une lueur d'espoir plus qu'une conviction. Cette idée achève d'ailleurs 1984.
L'essai s'articule en deux parties : "Le sens de la liberté, et donc du langage" et "Le sens du passé, et donc de la morale". La posture morale d'Orwell lui permet d'éviter évite le piège du conservatisme en se définissant comme "anarchiste tory", par un mot d'esprit. Il garde un œil sur le passé, source de sagesse et de stabilité. Le "modernisme" apparaît ici comme le gros mot qui efface l'histoire.
Ce que l’époque n’admet pas, c’est que l’on puisse être à la fois un ennemi décidé de l’oppression totalitaire, un homme qui veut changer la vie sans pour autant faire du passé table rase, et par-dessus tout un ami fidèle des travailleurs et des humbles. (Michéa)
Probablement ce que Michéa a produit de mieux. Analyse fouillée, gros travail de compréhension et de synthèse de l'œuvre d'Orwell. Et court de surcroît. Essentiel.