Petit Rouge

Le pari de la décroissance - Serge Latouche

25/01/2022

TAGS: latouche, essai, ecologie

Nous avons l'effarant privilège d'assister en direct à l'effondrement de notre civilisation.

Paru initialement en 2006. Avant la crise des subprimes. Il y a dès le départ un constat tragique, et une urgence:

Il s'agit, en effet, de proposer une voie de sortie positive de la crise civilisationnelle: la construction d'une société autonome démocratique et écologique, la société de décroissance.

Latouche propose de reprendre le contrôle de la monnaie, de se réapproprier l'argent. La cryptomonnaie n'est pas encore née à l'époque de parution. Mais une telle initiative est finalement arrivée. L'effort est pourtant bien là, même si les spéculateurs n'ont pas disparu et que l'on peut sérieusement douter de la pertinence d'un Web3 qui sera énergivore. Car il est évidemment question de préserver notre planète.

La résilience désigne plus simplement la capacité d'un écosystème à résister aux changements de son environnement.

C'est avant tout une question économique qui se pose, celle qui sauvera la planète à tous les niveaux. Les mots sont clairs, les objectifs limpides, le projet déjà structuré:

Il s'agit ni plus ni moins de "sortir de l'économie".

L'économie comme religion. Latouche met en évidence le culte du progrès qui anime les gouvernements et propose d'en finir avec cette adoration, et le totalitarisme de la société de consommation. Très intéressant parallèle avec la fascisme de la société de consommation de Pasolini.

Car il y a cette urgence vitale, et Latouche se montre catastrophiste sur l'écologie. La croyance en une croissance économique illimitée dans un monde fini est pour lui une hérésie. La modernité élimine le rapport de réciprocité entre l'homme et la nature.

Et j'avais rarement lu un essai qui propose une projet concret, ce que l'auteur se propose de faire:

La décroissance soulève deux grandes questions : pourquoi et comment.

L'ouvrage s'articule donc autour de ces deux parties, la réponse au pourquoi et au comment. A la question du pourquoi, Latouche répond Tout simplement :

Une croissance infinie est incompatible avec une planète finie.

Il poursuit par un calcul aux limites que la Terre peut absorber par habitant. Chiffre déjà explosé, qu'il faudra réduire par tous les moyens:

Déjà, la planète ne nous suffit plus, or il en faudrait de trois à six pour généraliser le mode vie occidental [sic].

Entre critique anti-capitaliste et manuel écologique, Latouche tire à boulets rouges sur cette minorité agissante qui accroît les inégalités et détruit la planète.

Autocécité ou lucidité cynique, il n'est pas question pour les nouveaux maîtres du monde de laisser les peuples choisir leur destin. La survie du business, des profits et des privilèges est plus importante que celle de la planète ou en tout cas de la majorité de sa population. Le pari de la décroissance est tout autre. Il consiste à miser sur un changement volontaire de direction dans l'intérêt de tous.

Il passe en revue les métriques de croissance et critique bien évidemment le PIB. Cette mesure qui prend notamment en compte les productions destructrices pour l'environnement:

Il mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue. (Robert Kennedy)

Il encourage, par tâtonnements, à déconstruire les métriques d'évaluation de la richesse. Le PIB doit décroître et des indicateurs plus proches d'une estimation du bonheur doivent augmenter.

Il serait injuste de qualifier les partisans de la décroissance de technophobes et de réactionnaires sous le seul prétexte qu'ils réclament un "droit d'inventaire" sur le progrès et la technique - une revendication minimale pour l'exercice de la citoyenneté. La mise au point de nouveaux outils conviviaux et de technologies douces aisément maîtrisables et reproductibles serait bienvenue pour récupérer un minimum d'autonomie.

Latouche raille le concept de développement durable ("simple label publicitaire sans contenu"), selon lui un oxymore, donc contradictoire car il implique une croissance respectueuse de l'environnement. Ce qui lui semble impossible. Il en est de même pour le concept de croissance verte, sur lequel il n'a aucune pitié.

Le terme de développement tout court est tout aussi fustigé. Il est pour lui bien trop corrélé à la croissance économique. Latouche démolit donc très naturellement tous les concepts économiques basés sur ce terme de développement.

La deuxième partie qui répond au comment mettre en place cette société de décroissance permet à Latouche d'énoncer le cercle vertueux des 8R: réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler.

Il s'agit en effet de réévaluer l'éducation, de sortir de la manipulation médiatique et de changer nos habitudes de consommation.

Suivant l'analyse de Jacques Ellul, l'information, par son excès même, la "surinformation", devient désinformation et se combine avec la publicité commerciale pour se faire déformation, propagande et manipulation.

C'est ce qui m'avait marqué à l'époque dans "L'illusion politique".

Latouche enchaîne sur le difficulté d'effectuer ce changement d'état d'esprit sur notre rapport à l'économie et la consommation. Il démolit les critiques qui ne le trouve pas assez anti-capitaliste. La décroissance apparaît transcourante, tant que le communisme sera progressiste pro-croissance. La réduction du temps de travail pour réduire le chômage et remise sur la table.

Latouche prône l'énergie renouvelable. Mais il m'a semblé être à côté de la plaque, d'un point de vue écologique. L'éolien ou le solaire ont besoin de matériaux rares, ne sont pas pérennes sur la durée, nécessitent beaucoup de maintenance et d'énergie pour être déployée. Programme politique sans l'être car de bon sens, il invite à relocaliser la politique par la démocratie locale.

Et encore une fois ça me change de lire un programme plutôt qu'un essai uniquement cantonné aux constats. Latouche avec ses amis proposent quelque chose. Je ne sais pas dire si c'est réaliste mais c'est déjà ça.

La culture de la réutilisation doit surtout se répercuter sur les entreprises, qui devront renoncer à fabriquer systématiquement du jetable, source de gaspillage et d'inflation de déchets. Les suggestions ingénieuses ne manquent pas, depuis les appareils construits avec des pièces standardisées indéfiniment recyclables jusqu'au simple retour aux emballages consignés. Jusqu'à présent, ce sont les incitations qui font défaut, en l'absence d'une volonté politique courageuse que le système semble incapable de susciter et que les citoyens, rendus indifférents par les habitudes consuméristes, n'ont pas assez exigée.

Je suis sensibilisé et séduit par ces problématiques. Et Latouche conclut presque son essai en suggérant ceci:

Il faut encourager l'invention de machines à ralentir le temps.

Retrouver le temps d'apprécier les choses, sans chercher plus que notre gourmandise et orgueil nous invite à faire.

Latouche se pose à la fin la question de la radicalité de la mise en place d'une société de décroissance. S'agit-il d'un extrémisme ? Il est plutôt question pour lui de bon sens en mettant en place une démocratie écologique plutôt qu'un éco-totalitarisme. La prise de conscience d'une catastrophe imminente pourrait permettre à l'humanité d'avoir le sursaut pour amorcer la société de décroissance.