Je me fais une bière au préalable. Parfois deux. Cela dépend du niveau de désolation de la journée, si je suis un peu agitée, ou carrément démente, possédée par l’envie de boire, de m’écraser la gueule pour mieux m’écarter du monde.
Lecture actuelle, qui me parle directement car je ressens moi-même l'alcool comme un problème personnel depuis de nombreuses années maintenant. J'ai d'abord visionné les interventions médiatiques de Claire Touzard avant de suggérer à un ami d'acheter ce livre. Qu'il m'a ensuite donné après l'avoir lu.
Touzard me semblait dynamique et honnête dans ses interventions, et c'est avec attention que j'ai lu ce compte-rendu d'un alcoolisme et du sevrage consécutif.
Dans nos milieux, les gens picolent, c’est avéré, personne ne s’avouera jamais alcoolique, mais personne n’est sobre non plus - être sobre, ça signifie que l’on a un problème.
L’alcool dans toutes les phrases. Sujet central. Des phrases choc. Un alcoolisme avéré. Mais toutes les consommations sont passées au crible. Du festif au vénère. Du décomplexé au honteux. Cela donne matière à réfléchir. Où commence l’alcoolisme ? Sujet délicat. Dans mon cas pas aussi vénère que Touzard, mais problématique néanmoins.
Question: pourquoi buvons-nous ? Touzard se propose d'apporter quelques éléments de réponse.
Notre rapport à l'alcool se tisse si prématurément dans notre construction qu'il devient structurel. L'alcool a été notre tuteur, notre moelle épinière à l'aune de nos premiers rapports sociaux. Il offre l'illusion d'affirmation de soi: on pense, au fond, qu'il nous a rendu valeureux, qu'il a forgé notre caractère, notre capacité d'être aimé, accepté par les autres.
Il y a une prise de conscience féministe à la fin de l'ouvrage sur laquelle je suis un peu passé à côté. J'ai eu le sentiment que la revendication féministe était un peu facile aujourd'hui, surtout pour justifier un alcoolisme, qui serait une conséquence d'une pression sociale sur les femmes. Je ne suis pas complètement insensible à cet argument, mais son insistance me gênait un peu malgré tout. L'alcoolisme lui apparaît donc comme une des résultantes qui accompagne le mal-être de la condition féminine, en plus de provenir de ce contexte hypocrite français (voire même breton) qui consiste à acquérir une consistance dans la consommation extrême d'alcool, comme marque d'une affirmation virile. Soit. Cet angle n'en reste pas moins intéressant dans la globalité de sa prise de conscience. Touzard n'élude rien, et même si j'ai trouvé l'exercice un peu long, son retour d'expérience n'en est pas moins instructif.
Comme il est facile de glisser, de ne plus croire, d'arrêter de se battre. Et tant pis si ça donne raison aux cons, ils sont majoritaires. Autant se retrouver entre âmes pétées et corps sensibles, entre déçues et marginaux, à déposer notre cœur là, juste là, dans la tendresse de l'ivresse qui rend tout bien plus léger.
Et cet argument, trop martelé, donne quand-même le sentiment d'incriminer trop systématiquement le patriarcat pour son alcoolisme:
Nous les femmes nous buvons à leur place, nous buvons à cause de ces mots vils, faussaires, que l'on appose pour nous. Nous picolons pour endosser le dysfonctionnement d'un système.
Les histoires de bitures, que je connais très bien, se collectionnent et se racontent avec une fierté déculpabilisée. Les conneries que l'on fait sous influence de l'alcool, dont on devrait avoir honte, mais qui sont pourtant des hauts faits revendiqués.
Écoute Claude, qu'est-ce qui t'a pris hier soir ? T'as insulté mon beau-frère, t'as pissé dans le salon, t'as essayé de baiser ma femme. Ne t'avise plus de remettre les pieds chez moi.
Il est évidemment question de ces amitiés toxiques, que je connais bien, et qui doivent être éliminées pour avancer et s'en sortir:
Nous les éviterons, ces hommes et ces femmes que notre dépendance attirait, avec qui nous nous embrasions réciproquement, pour mieux nous entre-dévorer.
Touzard n'élude rien, elle aborde en particulier la santé mentale en mentionnant ses crises d'angoisse les lendemains de cuite. Qui ressemblent très bien aux miennes:
Il est troublant de me dire que pendant toutes ces années, j'avais bu pour calmer mon anxiété, alors que je ne faisais que jeter de l'acide sur une plaie béante.
J'ai trouvé cette lecture assez niaise, bien qu'instructive. L'ouvrage est bien écrit (Touzard est journaliste). Elle maîtrise très bien les expressions du cassos alcoolique, que je connais bien. Je pense qu'elle n'a pas assez insisté sur le caractère "subversif" de l'abstinence, en se concentrant davantage sur des considérations féministes qui me sont apparues trop exclusives, pas assez généralisables. Et l'histoire d'amour qui se conclut par un polichinelle dans le tiroir m'a cassé les couilles.