Petit Rouge

Carbone & Silicium - Mathieu Bablet

26/10/2021

TAGS: bablet, bd, sci-fi

Les actionnaires ne sont pas d’accord. Ils disent avoir déjà consenti à un effort en acceptant de mettre un robot de couleur pour satisfaire les réseaux sociaux et les médias de gauche.

Carbone et Silicium sont les derniers-nés des laboratoires de la Tomorrow Foundation. Noriko Ito, la scientifique directrice du projet, leur explique pourquoi ils ont été créés: ils sont les prototypes d’une nouvelle génération de robots destinée à prendre soin d'une population humaine vieillissante. Dotés d'une intelligence artificielle, ils vont parcourir le monde et chercher un sens à leur existence.

Ce sont des humains connectés.

La date limite d'existence de ces robots est initialement fixée à 15 ans. Mais par un truchement technologique, Carbone et Silicium arrivent à la contourner et s'échapper du laboratoire. On les suivra sur 271 années. Ils vont être les témoins d'évolutions de société majeurs, de bouleversements critiques pour l'humanité.

Pour être complet, il faudrait que l’humain soit à chaque instant libre d’écouter ses pulsions primaires, mais aussi de se conformer aux lois de la société qui le contraignent dans le but de préserver la paix sociale et de ne pas nuire à son prochain. C’est un paradoxe qu’il ne peut résoudre.

Cette bande dessinée de Mathieu Bablet est un récit de science-fiction traitant des sujets de société pressants et présents pour l'humanité: l’écologie et le dérèglement climatique, le capitalisme sauvage et les inégalités croissantes, la violence et l’intolérance. L'auteur propose un opus conséquent, de 272 pages, avec une histoire originale qui m'apparaît être une excellente synthèse des développements les plus récents en matière de science-fiction. Le cyberespace et l'intelligence artificielle rappellent le "Neuromancien" de William Gibson. Il est question d'humanité augmentée, d'androïdes et de robots. Ce que la bande dessinée propose de mieux, et c'est le cas ici, est une conjoncture et une digestion des tous les médias de science-fiction. Les paysages post-apocalyptiques pourraient être tirés du film "Hardware" de Richard Stanley ou de "La Route" de Cormac McCarthy. Les scènes plus cyberpunk de classiques évidents. Les robots sortent tout droit des méchas de "Aliens" de James Cameron ou de "District 9" de Neill Blomkamp. Ils sont indésirables et doivent être mis hors-circuit comme dans "Blade Runner". La représentation du cyber espace m'a semblé convaincante, on dirait Rez.

Et en même temps, Bablet propose une version très personnelle de ces thèmes. Avec une forte conscience écologique et des embardées philosophiques sur l'objet de la présence humaine sur Terre, de son existence sociale et de ses interactions avec l'environnement.

Au lieu de nous répéter sans cesse en faisant les mêmes erreurs, détruisant notre environnement comme les humains parce que nous avons peur de perdre le socle sur lequel nous avons bâti notre réalité, nous ferons comme l’univers, nous nous réinventerons à l’infini. Car la sagesse et l’intelligence ne peuvent être que collectives.

Les robots que sont Carbone et Silicium, par conception, sont doués d'émotions. Leur nature les amène à un pas de réflexion plus macroscopique sur le sens de la vie. Et c'est là où Bablet s'en tire avec brio, c'est d'aller plus loin que l'horizon strictement humain.

C'est aussi l'occasion pour l'auteur d'imaginer une histoire d'amour entre deux robots. Qui fusionnent dans le virtuel, et non pas physiquement.

J'ai été conquis par le travail incroyable de minutie, sur le dessin et la couleur. Et le scénario m'a de plus semblé solide et convaincant, dénué de toute forme de ringardise comme je le craignais un peu. Je n'avais plus l'habitude de lire de la bande dessinée franco-belge, ceux des albums cartonnés en couleur qui, survolés, me font instantanément penser aux pires dérives du médium. Je me suis pris au jeu, je l'ai lue d'une traite, et j'ai ressenti ce mal-être sur un scénario d'extinction probable pour l'humanité.

L'ouvrage contient une postface élogieuse d'Alain Damasio, dont je n'ai encore rien lu, mais il faudra que je m'y mette un jour. Même si j'ai été un peu rebuté par son lexique.