Je suis violemment hermétique à la psychanalyse. Mais cet essai m'a été recommandé par un ami, ce qui m'amène à revenir un peu sur mes positions. Même si elles sont partisanes. Je suis pourtant bien conscient que la découverte indéniablement extraordinaire de l'inconscient a en particulier enfanté le surréalisme. Et j'avais été intrigué par Jung et ses querelles de pouvoir avec Freud que le film "A Dangerous Method" de Cronenberg a mis en lumière. La préface à l'édition française contient une note de bas de page très importante qui me donne envie d'en savoir plus:
On sait, par exemple, l'importance capitale et de portée historique la démarche de Freud qui découvrit l'inconscient sous l'angle de la sexualité. On sait la signification permanente, hic et nunc, de celle-ci. Mais vouloir réduire l'inconscient à tel ou tel de ses éléments, fût-il aussi essentiel que la sexualité, semble dorénavant une position dépassée.
Jung semble donc être cet élève qui dépasse son maître en généralisant l'inconscient. Dès le départ il y est question de querelles de paroisse. Jung répond à ses détracteurs (y compris ceux qui le taxent d'antisémitisme). Cet essai m'a semblé être un bon angle d'initiation pour le néophyte que je suis. Jetons-y un oeil.
« Ça s’arrête tout seul quand la malade n’a plus d’argent », m’expliqua une fois un confrère quelque peu cynique.
Le concept phare de cet essai est donc l'inconscient collectif. S’agit-il d’une mystique ? Il y est question de Dieu, du divin dès les premiers chapitres. L’inconscient ne serait donc pas seulement constitué de matériau personnel. Il détient aussi des facteurs impersonnels, collectifs, sous forme d’archétypes et de catégories héritées. Jung en arrive à ce constat en prenant pour exemple un de ses cas d’étude.
Mais j'ai rapidement été gêné par le terme de « malades », choisi pour désigner les patients. Jung se croit-il plus sain qu’eux ? Moins névrosé ? J'avais plutôt le sentiment qu'il avait lui-même sa part névrotique dans le film de Cronenberg.
Jung fait preuve d'une grande intelligence et de culture dans cet ouvrage, mais pourquoi donc ? Toutes ces hypothèses me semblent être des coups d’épée dans l’eau. Il suppose des choses sur l'inconscient dans un océan d'infinies possibilités. Autant j'imagine l'urgence à l'époque des interprétations qu'ouvre la voie de l'inconscient, mais je considère néanmoins que Jung se prend la tête pour pas grand-chose, même si le concept d’inconscient collectif est intéressant sur le papier. Et d'ailleurs, ils se prennent pour qui les psychanalystes ? Jung n’hésite pas à hiérarchiser ses patients par leur intelligence ou qualité morale. C’est extrêmement gênant. S'agit-il d'une spécificité germanique ? Il est pourtant docteur; j'attendais davantage de neutralité dans sa manière d'évoquer les cas réels.
« La reconstitution régressive de la persona ». Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que ces concepts ne seraient-ils pas complètement obsolètes ? Dépassés par la science ? Cet ouvrage est paru en 1933, il est fort probable que la science les ait rendus caduques depuis.
J'ai retrouvé un regain d'intérêt dans cette lecture dans le chapitre sur la fonction de l'inconscient, mais je suis retombé perplexe tout de suite après.
La voie de l’individuation signifie: tendre à devenir un être réellement individuel et, dans la mesure où nous entendons par individualité la forme de notre unicité la plus intime, notre unicité dernière et irrévocable, il s’agit de la réalisation de son Soi, dans ce qu’il a de plus personnel et de plus rebelle à toute comparaison.
J'ai tout de suite pensé à Stirner sur cette précédente citation, mais Jung refuse très vite cette idée comme étant celle de l’unicité égoïste:
Prendre l’individuation et la réalisation de son Soi pour de l’égoïsme est un malentendu tout à fait commun; car les esprits font en général trop peu de différence entre l’individualisme et l’individuation.
Le chapitre sur l'anima et l'animus, respectivement la part féminine de l’homme et masculine de la femme, m'a semblé très daté. J’y ai vu une énorme accumulation de clichés. Je ne l’ai d’ailleurs pas fini. Car il y a au final quelque chose de désuet, de dépassé dans ces thèses et terminologies. Avec de plus une interprétation des rêves et des fantasmes très bancale à mon sens.
Le dernier chapitre sur la personnalité mana, sujet d'une puissance potentiellement occulte et de connaissances magiques, m’a semblé être un grand n’importe quoi. Mais ça rejoint peut-être Brenot quand il évoque la personnalité du chaman, à la toute fin de son ouvrage sur « Le génie et la folie ».
Néanmoins, pour nuancer un peu mon propos, je constate une certaine humilité chez Jung, qui lui fait admettre ses propres limites d'interprétation. Il reconnait que ses constats sur les processus psychiques sont empiriques, et finalement surtout hypothétiques. A la limite, je trouve Jung finalement assez honnête. Il reconnait la psychanalyse comme un moyen de compréhension de la psyché de l’humain plutôt que de guérison. Ces suppositions ne m’ont tout simplement pas convaincues. Surtout en lisant ce genre de phrases:
Il doit s’avouer qu’il ne s’agissait que d’illusions et mirages: le Moi n’a pas surmonté l’anima et, par conséquent, n’a pas acquis son mana. Le conscient n’est pas devenu le maître de l’inconscient.
Cette lecture a donc été particulièrement pénible. Difficile à appréhender, voire parfois impossible à comprendre. Les concepts de « persona » ou « d'animus » m'ont semblé obsolètes. Je m'en suis tordu les cheveux. L’interprétation de l’inconscient permet d’écrire toutes les plus grosses foutaises. Je dois admettre que je n'ai rien compris, en tout cas pas que j'ai eu du mal à faire l’effort, et donc à surmonter mes a priori.