Je relis rarement F-52. Je trouve cette dernière aventure de Freddy Lombard vraiment trop dure, trop cruelle. Plus dramatique, et du coup moins drôle que les précédentes, malgré certains ressorts comiques si caractéristiques de la série et de l’humour grinçant de Chaland. Même si l’histoire se finit bien. Il y a pourtant vraiment matière à écrire sur l'une des dernières productions de Chaland, avant son tragique accident de la route.
Freddy, Dina et Sweep sont stagiaires à bord du F-52, un avion à propulsion atomique, construit sur deux étages, comprenant une classe économique et une classe d'affaire. Ils embarquent pour son vol inaugural, en arrivant bien évidemment en retard à cause de leur 2CV éclatée. Comme d'habitude la troupe se débrouille pour monter in extremis dans l'avion, toujours sur le fil du rasoir. L’avion quitte l’aéroport du Bourget direction Melbourne, à la vitesse record de 1000km/h.
Si cette histoire me met mal à l'aise, c'est essentiellement à cause de la petite Sheila, au cœur de l'intrigue principale. Elle est une enfant trisomique, reniée par ses parents, d’horribles bourgeois. Ces derniers tentent de remplacer leur fille déficiente en kidnappant Isadora, fille d’une jolie veuve voyageant dans la classe économique.
Il y a plusieurs intrigues dans l'histoire globale, en particulier la présence d'un espion du KGB, qui détient des particules d’alliage du F-52 dans ses chaussures. L’équipage est à ses trousses. Dina est quant à elle victime d'un harcèlement sexuel de la part d'un des stewart, qui se montre très insistant tout au long du vol.
Chaland enchevêtre les intrigues avec brio, en maquillant le tout derrière cette esthétique fantasmée des années 50. Avec cette vision d’un futur où l’atome est au cœur du progrès moderne, sanctifiée notamment à Bruxelles avec l'Atomium. Il y a de plus le spectre communiste, sur fond d'espionnage industriel, avec cet intrus issu du KGB. Mais aussi des bourgeois décadents, cliniquement malades, déconnectés de la réalité.
Le F-52 reproduit donc les modèles sociaux et la lutte des classes associée. Chaland présente la violence des rapports de classe dans un avion pourtant synonyme de progrès. Les riches prennent, sans vergogne, une fille d'extraction modeste. L'épisode des chaussures est particulièrement cinglant. L'équipage demande aux passagers d'enlever leurs chaussures pour une fausse tombola, cela afin de démasquer l'espion. Les prolos le font docilement, mais les bourgeois refusent de s'y plier. Il y a là une double critique de Chaland. A la fois envers la crédulité et le manque de discernement des prolétaires, qui subissent et laissent faire. Mais aussi envers les bourgeois, qui se sentent au-dessus des lois.
Chaland raille de plus l'esprit français. Des Français vantards, fiers de leur développement industriel d'après-guerre (le F-52 pourrait être confondu avec le Concorde), mais qui semblent, à l'image de l'équipage, toujours un peu sujets à moqueries. Le chef d'équipage, à l'aspect ridicule, sort son Manufrance, mais se fait facilement désarmer par Sweep, à ce moment-là du récit accusé de pédophilie. L'espion russe s'en sort sans encombre, malgré le déploiement d'énergie pour le confondre.
Seule lueur d'optimisme à la toute fin: Isadora retrouve sa mère et Sheila se fait adopter par une famille nombreuse. Les vilains bourgeois périssent de leur fait, en s'échappant du F-52 avec leur voiture. Je n'y vois pourtant aucune morale, j'ai le sentiment que cette fin est trop carabinée.