Petit Rouge

Dernière sommation - David Dufresne

27/07/2021

TAGS: dufresne, social, roman

Les mots ont un sens, cela voulait dire qu’il fallait ne pas employer les bons, surtout ne rien laisser transparaître sur les ondes, cette maudite radio où il se trouvait toujours un malin pour tout enregistrer, rien qui fasse comprendre que les gars, sur le terrain, avaient bien le feu vert. La chasse était ouverte, mais ça ne devait pas se savoir – ni consigne ni ordre, juste un climat. Et si ça se savait, tant pis pour vous, messieurs, je serais dans l’obligation de vous lâcher. (Frédéric Dhomme)

Dufresne nous plonge au cœur du mouvement des Gilets Jaunes. En abordant différents points de vue. Journaliste, policier et manifestant.

Le point de vue des flics n’est pas inintéressant. Il n’est pas question ici de fustiger de manière primaire les bleus. Serge Andras, le flic syndicaliste, second de Dhomme, est présent dans le récit pour rappeler que les policiers sont essentiellement de la chair à canon, mal considérés par tout le monde, y compris le ministère de l'intérieur. Mais même si le malaise au sein de la police est réel, leur violence reste inexcusable, et Dufresne ne manque pas d'égratigner Andras, son personnage, en le montrant carriériste et manipulateur. Andras se sert en effet d'une vidéo de la femme de Dhomme, Béatrice, qui soigne les Gilets Jaunes pendant les manifestations, pour décrédibiliser la police en place.

Dardel assistait au spectacle, depuis son téléphone, et en toutes occasions. Gil Scott-Heron s’était trompé, la révolution serait visuelle et visible, certes pas télévisée, mais sur tous les écrans.

Dardel se confond avec Dufresne. Il y a cette référence punk, constante au cours de la lecture, qui justifie son engagement. Journaliste 2.0 sur Twitter, sans carte de presse, Dardel se présente comme un des nombreux témoins de violence policières, qui a pris le réflexe de diffuser les exactions des forces de l'ordre sur les réseaux sociaux. Il se distingue en cela des journalistes officiels, qui ne sont qu'un des relais médiatiques du pouvoir, tellement leur partialité est visible.

Les experts expertisaient leur seule expertise véritable – l’art de la réplique et du non-dit qui meuble. (Dardel)

Dardel nomme directement la Place Beauvau dans ses tweets, donc le ministère de l'intérieur. L’affaire est politique.

Dufresne a le sens de la formule, ce qui distingue nettement la puissance du mouvement. Les mots ont un sens, comme le rappelle le policier Dhomme. Et c'est justement ce que le mouvement cherche à récupérer: du sens, de l'aplomb et de la percussion dans les mots, pour marquer les esprits au fer rouge. Il y a donc beaucoup de phrases à extraire de ce livre. Notamment ces slogans de Gilets Jaunes, souvent très inspirés. Je retiens celle-ci:

Ils ont la police. On a la peau dure.

Sur fond d’affaire Benalla, Dufresne étrille un gouvernement Macron qui tente désespérément de colmater les brèches en sauvant les apparences, et non pas en trouvant des solutions de fond pour résoudre la crise.

Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit. (Emmanuel Macron)

Dufresne confirme un authentique mépris de classe de la part du président, comme le remarquait très justement Bégaudeau. Même s'il est surtout concentré sur les membres des Gilets Jaunes, le mépris de classe s'exerce aussi sur les policiers, des idiots incapables de réaliser qu'ils sont considérés comme tels par leurs propres supérieurs. Dufresne nous livre le portrait d'une France insoumise, qui ne « se tient pas sage ». Et l'ouvrage se termine par une intuition de violences policières à venir...