Petit Rouge

Dernière conversation avant les étoiles - Philip K Dick

26/07/2021

TAGS: dick, sci-fi, entretien

Derniers entretiens de Philip K Dick avec une de ses amies, Gwen Lee, quelques mois avant sa mort d’une crise cardiaque, en 1982. Il aura juste eu le temps d'entrevoir quelques scènes de « Blade Runner » réalisé par Ridley Scott. L’entretien évoque dès le départ son enthousiasme pour cette adaptation:

Et là, dans le public, en regardant ces vingt minutes d’extraits, j’ai compris qu’on entrait dans la décennie de l’information. On y est. L’information est la substance vitale, le métabolisme même du monde moderne. Les gens iront voir ce film en drogués de l’information. Ils vont y trouver beaucoup plus d’information qu’ils ne peuvent en absorber, et auront envie de revenir parce que c’est un stimulus pour le cerveau et que le cerveau adore être stimulé. En fait, le cerveau humain raffole des stimuli. Et ce film va le stimuler au point qu’il ne pourra pas trouver le repos.

L’entretien donc, n’est pas à proprement parler une interview. Il s’agit d’une conversation entre amis, qui se connaissent et qui vont à la fois droit à l’essentiel concernant le contenu de l’œuvre de PKD, mais aussi partent dans des divagations amicales et complices. Ce format m’est apparu idéal pour saisir la personnalité de PKD. Ce qu’une interview plus formelle menée par un journaliste n’aurait pas réussi à cerner aussi justement.

PKD se sacrifie pour l’écriture. Jusqu’à s’en rendre malade. Il écrit rapidement ses romans, mais en se négligeant, en refusant de manger par exemple. Habité par les personnages et histoires qu’il crée. Tellement clairvoyant et inspiré dans chaque concept qu’il invente que l’on pourrait croire au fait qu’il a un canal de communication direct avec l’au-delà.

Mon idée à moi, c’était qu’on pourrait transmettre cette information conceptuelle simultanément sous forme de couleur, de musique et de mathématiques, ce qui autoriserait des abstractions actuellement impossibles pour nous.

De Pythagore à Alvin Lucier (« Music on a long thin wire »), PKD aborde longuement le lien inextricable entre musique et mathématiques. Cela n’est pas anodin. Sa vaste culture, scientifique, artistique, théologique ou philosophique lui permettant tous les traits d’union. Au sujet de la musique, il nous rappelle que Schopenhauer considérait cette expression comme l’abstraction artistique ultime. Il en est beaucoup question dans cette conversation, en particulier pour ses fondations mathématiques.

La musique et les mathématiques, c’est la révélation selon Pythagore entre mathématiques et musique comme fondement de la réalité.

J’entends parler pour la première fois de Parménide, le philosophe originel, et de son illogisme conceptuel ancien. Doté d’une curiosité incroyable, et d’une réelle envie de partager son immense culture, il me semble pourtant évidemment que ce trait ne suffit pas à expliquer l'incroyable imagination de PKD. Elle doit être aussi un peu due à une certaine forme de folie. En fait, plus la conversation se déroule, plus elle m’apparaît tout simplement délirante. Mais il y a pourtant toujours quelque chose de sensé dans ses idées, qui s’accrochent à notre réalité. Un épisode biblique. Un fondement philosophique. Une théorie scientifique.

Je t’ai parlé des biopuces ? Eh bien, c’est comme ça qu’ils pourraient faire l’expérience de notre monde. Il faudrait qu’ils entrent en relation symbiotique avec un être humain. On ne pourrait pas y arriver via une interface technologique, électronique, parce que la musique c’est du concept.

PKD avoue ne lire que très peu de fiction. Le concept de biopuce, une interface bio-neurale ? J’ai immédiatement pensé à « Existenz » de David Cronenberg.

La biopuce est vivante. Une fois implantée dans le cerveau, elle se développe dans le système nerveux cérébral. Le tissu neural. Or, la biopuce traite l’information à la vitesse de la lumière. À côté de ça nos neurones à nous se traînent lamentablement. Genre, à 400 km/h, un truc aussi lent que ça.

Ses centres d’intérêts sont sans surprise influencés par les travaux les plus avancés de la recherche scientifique. Nanotechnologie, microbiologie, comme l’indique la précédente citation. Mais ce qui le catapulte comme l’un des géants de la science-fiction, c’est cette étrange mais extraordinaire miction avec une culture classique, au sens large. Finalement, tout ce qui touche à sa compréhension de l’univers. Il énonce :

Il faut dire que la philosophie grecque a toujours visé à comprendre ce qui composait la substance fondamentale de l’univers.

Sa démarche personnelle n’en est finalement pas si éloignée. L’œuvre de PKD est une exploration artistique des problèmes métaphysiques de l’existence et de la nature humaine.

La conversation voit PKD improviser des concepts, des idées à creuser pour de prochains romans. Chaque phrase énoncée de sa part exprime une idée originale, parfois presque atomique. Il n’y a quasiment jamais de verbiage chez lui. Il ne craint pas la page blanche comme le pourrait un autre écrivain. Cela serait plutôt pour lui un motif de soulagement, car elle lui évite la surchauffe. Parce qu’en effet sa démarche hautement digressive vire quand même parfois un peu au grand n’importe quoi.

Gwen Lee aborde sur la fin des sujets plus personnels. Son exégèse. Mais surtout ce que Doris Elaine Sauter, très bonne amie de PKD et éditrice de cet ouvrage, nomme « hypothèse basse », probablement un accès psychotique. C’est un tel épisode qui lui a appris la maladie congénitale de son fils Christopher, ce qui l’a sauvé d’une mort précoce. Je suppose qu’il y a chez PKD une angoisse profonde et existentielle, qui l’amène à questionner la réalité. Je partage moi-même cette angoisse. Je souhaite associer PKD à Artaud, considérant leurs accès psychotiques, mais aussi pour une quête forcenée de compréhension et de dépassement de la nature humaine. Malgré le fait que je n’aie pas encore lu suffisamment cet auteur, à l’œuvre conséquente, j’ai particulièrement apprécié ces échanges qui me donnent davantage envie de le découvrir.