Petit Rouge

Barbarella - Jean-Claude Forest

24/07/2021

TAGS: forest, bd

Barbarella est une fille libre, sauvage, indépendante. Ce n'est pas une suffragette pour autant, ni un gendarme. Elle reste très féminine et a le privilège de pouvoir se contredire à l'occasion. Ce n'est pas une vamp, mais une antivamp. D'ailleurs, je déteste les pin-up. Pour moi, Barbarella est un type de femme qui a toujours existé. Contrairement à ce que l'on raconte, elle n'est absolument pas scandaleuse. (Jean-Claude Forest, 1968)

Héroïne de la libération sexuelle, qui aura dépassé la bande dessinée suite à l'adaptation cinématographique de Roger Vadim avec Jane Fonda en Barberalla, une relecture de ce classique de Jean-Claude Forest me semblait opportune après avoir découvert la série Valentina de Guido Crepax et « Pravda la Survireuse » de Guy Peellaert. Largement diffusée, je l’avais lue de nombreuses années plus tôt. Inconditionnel de l’œuvre de Forest depuis mon enfance, j’ai le souvenir d’une Barbarella sensuelle et sexuelle, plus douce que sa némésis Hypocrite, du même auteur.

Cette bande dessinée décrit les tribulations de Barberalla dans des mondes parfois féeriques, parfois terrifiants, à travers la galaxie. Son aventure débute par une errance dans un vaisseau spatial. Épuisée, elle s’écrase sur la cité Cristallia de la planète Lythion. Recueillie par Dianthus, elle se joint à lui dans son projet de paix avec les Orhomrs…

Bah ! Je ne crois pas qu’ils nous veuillent du mal... Et puis, ce ne sera pas la première fois qu’un extra-terrestre contemplera ma nudité ! (Barbarella)

Space opéra avec des références à la mythologie gréco-romaine (La Méduse) et à la pop culture (Brigitte Bardot), Barbarella n’a aucun pouvoir autre qu’un puissant charme de par sa beauté. La bande dessinée est remplie de formes phalliques (des astronefs) et vulvaires (la méduse qui capture le vaisseau). Il y a une diversité organique très riche dans cette oeuvre, à la fois dans les paysages et les entités extra-terrestres. L’imaginaire de Forest est stupéfiant, souvent poétique, onirique et résolument positif. L’univers de Crepax étant par symétrie plus adulte, avec parfois une certaine violence caractéristique. Le sexe y semble toujours associé à une pulsion de mort, ce qui n’est pas le cas avec Barbarella.

Roger Vadim en a fait un film à l’apparence plutôt kitsch, dont les extraits que j’ai pu voir ne rendent vraiment pas justice à l’imaginaire de Forest. Mais la bande-annonce du film mentionne pourtant que le pouvoir de Barbarella n’est tout simplement rien d’autre que « l’amour », ce qui semble juste mais très réducteur. Elle présage donc très bien le mouvement hippie de cette décennie.

J’aime beaucoup Forest, mais quelque chose me tracasse avec le personnage de Barbarella. C’est une femme jeune et jolie, gentille et empathique, mais finalement pas si affirmée à mon goût. C’est une belle plante en somme, presque une femme-objet. Libre sexuellement, elle ne représente finalement pas grand-chose de positif à mon sens pour l’émancipation des femmes. A l’inverse, Valentina est photographe de mode et semble se distinguer par son intelligence, sa culture et un certain raffinement, une esthétique. Hypocrite quant à elle est mesquine et insaisissable. Pravda est rebelle. Barbarella semble tout simplement belle. Et c’est à peu près tout. Je comprends un peu le dédain de Crepax quand on l’associe à Forest ou Peellaert. Valentina est en effet mille fois plus classe que les héroïnes précédemment citées.

Le style graphique de Forest me plait toujours autant par contre. Il dessine admirablement bien et réussit parfaitement à retranscrire la pulsion sexuelle qui caractérise son époque. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que cette bande dessinée a mal vieillie et qu’elle est même parfois rétrograde sur le rôle de la femme. La femme libérée des années 60-70 s’affranchît sur le plan sexuel, mais clairement pas dans son rapport à l’homme en tant qu’objet de désir. La mouvance féministe actuelle ne pourrait pas accepter cet unique rôle.

Barbarella est presque prophétique sur la dictature publicitaire que l’on vit suite à mai 68. Voire même encore avant, avec l’émergence des mouvements pop apportés via l’art et le rock’n roll. Je crois sincèrement que Forest n’avait aucunes mauvaises intentions en sexualisant son héroïne. Mais son succès m’interpelle, il contribue à poser sa pierre à l’édifice de l’avènement d’un monde totalement pornographique, à tout point de vue. Culte de la beauté, de la jeunesse et de la jouissance à tout prix, donc source de frustrations et de violences.

Paru en 1962, donc paradoxalement avant-gardiste parce que mettant en avant une héroïne à une époque où priment les héros dans à peu près tous les pans de la culture populaire, du chanteur de rock au cowboy, Barbarella reste pourtant cette icone d'une période de changements sociétaux à venir. Un jalon d'une époque désormais bien révolue.