Petit Rouge

Chroniques (Volume 1) - Bob Dylan

23/04/2021

TAGS: dylan, autobiographie, musique

Le monde moderne, avec sa complexité folle, m’intéressait peu. Il manquait de pertinence et de poids.

De Bob Dylan je ne connais que ses chansons les plus populaires. Je ne me suis jamais penché en profondeur sur son œuvre, que je sais pourtant riche et influente. À défaut de prendre le temps de m’immerger dans sa musique, je donne une chance à son autobiographie, qui m’a été chaudement recommandée.

La première partie démarre dès son arrivée à New York. Jeune plein d'ambitions, intelligent et cultivé, Robert Zimmerman porte un regard pertinent sur le monde et les États-Unis des années 60. Témoin et acteur d’une transformation, d’une redistribution des cartes, celui qui deviendra Bob Dylan se nourrit de ses rencontres au Greenwhich Village, de ses lectures et surtout de musique. Folk évidemment, mais aussi beaucoup de blues (il a été très marqué par Robert Johnson et affectionnait entre autres Lightnin' Hopkins). Semblant à la fois timide et solitaire mais paradoxalement très sociable compte tenu de ses nombreuses relations avec des artistes établis ou en devenir, Bob Dylan se remémore avec une précision folle tout le bouillon foisonnant d'un New York qui se prépare à devenir un phare culturel majeur à travers le monde. Sa manière d'aborder la culture classique (Thucydide ou Clausewitz) est très nonchalante, même si pertinente et bien synthétisée. Il nous fait ressentir ce mouvement marqué par la "beat generation", une "gauche à l'Américaine", contestataire, préparant les soubresauts sociaux à venir. Dont le folk, qui semble être un genre un peu marginal, sera via les "protest songs" en particulier un acteur artistique de cette vague de changement. Mais Dylan apparaît finalement très individualiste. Il ne met sa cause dans rien.

Mais je continuais à allumer la radio par habitude ou par réflexe. Malheureusement, elle ne diffusait que du lait sucré et elle ignorait tout des contrastes saisissants de l’époque. L’idéologie de la rue, celle de Sur la route, de Howl et de Gasoline, les styles de vie nouveaux qu’ils annonçaient n’y avaient pas droit de cité.

On ressent un léger boulard de Bob Dylan, et cela très jeune. Un peu trop convaincu d'avoir une voix, une voie, un boulevard tracé vers le succès. Mais justifié par son apport indéniable et son influence sur la musique en général.

Picasso avait crevassé le monde des arts et ouvert grand la brèche. C’était un révolutionnaire. J’avais envie d’être comme lui.

Il est beaucoup fait mention de Woody Guthrie, influence majeure de Bob Dylan. J'en avais vaguement entendu parler, sans connaître exactement le bonhomme. Issu du mouvement protestataire, proche des syndicalistes; il est toujours intéressant de constater qu'il y a eu une conscience de classe dans ce pays si capitaliste et individualiste.

En un clin d'œil, le farouche individualiste se transformait en conformiste

J'ai commencé à me désintéresser de cette autobiographie à partir de la deuxième partie, qui fait un saut dans le temps et retrace une période de notoriété confirmée. C'est aussi à ce moment-là que j'ai commencé à mépriser Bob Dylan, qui souhaitait depuis ses débuts devenir un musicien de folk d'envergure, qui au fond cherchait à transporter les foules, mais en refusant la célébrité, ou tout au moins les versants négatifs de la notoriété.

Comme Quarry, je refusais d'être un symbole, un emblème ou un porte-parole. Et, comme Ellis, j'avais une famille à nourrir.

Arrogance qui ne se dément pas jusqu'à la cinquième et dernière partie de ce premier volume de chroniques. La quatrième partie se déroule en 1987. Bob Dylan connait à cet instant un sérieux passage à vide. Comme beaucoup d'artistes majeurs à cette époque. Largué par le changement radical du paysage artistique qui s'opère lors de cette décennie, consécutif à la victoire écrasante d'une musique extrêmement commerciale et policée. Il ne semble plus être en phase avec le zeitgeist des années 80, qui voit pourtant émerger aussi un mouvement punk, probablement plus colérique mais tout aussi contestataire que celui du Dylan des années 60. Il n'a pas pris la mesure des changements, il est en panne d'inspiration. Comme s'il n'avait plus rien à dire. Et cela semble même se manifester physiquement (blessure à la main, état quasi-dépressif). Il coopère avec Daniel Lanois pour un album, mais sa figure de mastodonte pétri d’ego se heurte à toutes les initiatives de ce dernier. Il fait pourtant lui-même preuve d'une étonnante lucidité sur son manque de pertinence à cet instant:

La musique que nous faisons, Danny et moi, est dépassée. Je ne lui ai pas dit, mais c'est honnêtement ce que je pensais. Ice-T et Public Enemy ouvraient la voie, un nouveau monstre de scène apparaîtrait, et il ne ressemblerait pas à Presley - il ne roulerait pas des hanches en regardant les minettes.

Flashback sur sa jeunesse dans la cinquième et dernière partie. Mais trop tard, je n'avais qu'une seule envie c'était d'achever sa lecture au plus vite, ayant perdu tout intérêt pour ces souvenirs. Il revient pourtant sur Woody Guthrie, Jack Elliott et ce protofolk de gauche qui l'aura tellement influencé. Il est toujours plus intéressant de l'entendre parler de ses débuts que de l'entendre ruminer sur son succès. Je sauve encore un peu le jeune Robert Zimmerman, parce qu'il reste encore émerveillé par son entourage. Et que sa curiosité est malgré tout très contagieuse.

Autobiographie parue en 2004, je me suis demandé si c'était le vieux Dylan de cette année précise qui exprime les pensées et constats du Robert Zimmerman de 1961, ou si elles étaient rétrospectives ? Dans ce dernier cas, sa maturité dans les parties évoquant sa jeunesse sont exceptionnelles de maturité et de clairvoyance. Mais cela n'a pas suffi, cette lecture m'étant apparue trop inégale dans son ensemble. Du résumé de l'ouvrage, je retiens le constat suivant, qui résume le parcours de Bob Dylan à "l'histoire d'un musicien de génie qui aspirait à la gloire mais ne la supportait pas".