Petit Rouge

Pravda la survireuse - Guy Peellaert

08/04/2021

TAGS: peellaert, bd

Une ville... une rue... une moto... une fille...

Pravda est une motarde en gilet de cuir, amazone aux traits empruntés à Françoise Hardy, qui chevauche une moto-panthère-noire dans une cité dégénérée. Elle affronte un gang de jeunes motardes, emmenées par La Capone, qu'elle destitue pour en prendre la tête. Elle sème le chaos dans la ville avec elles.

Cette bande dessinée du plasticien belge Guy Peellaert est parue en épisodes dans Hara-Kiri en 1967. Elle choque immédiatement par son graphisme expérimental très audacieux, avec des couleurs très criardes, psychédéliques. Chose toute aussi frappante, des références immédiates et explicites à la pop culture, Coca-Cola pour l'objet de consommation ou Robert Mitchum comme idole (malmené ici il est vrai). Plus que cela, cette bande dessinée est une œuvre inspirée par le pop art, qui propose de nombreux clins-d'oeil aux peintures d'Andy Warhol (les canettes de soupe Campbell en particulier).

Le monde dans lequel Pravda évolue est donc une société de désir, de consommation et de violence. On y voit des voitures qui s'accumulent à la casse, des protagonistes qui cherchent tous à se rafraîchir en buvant du Coca-Cola. Tout dans cet univers moderne est prétexte à la bagarre, au choc, à l'affrontement. Les femmes y sont toutes plus qu'à-moitié dénudées, quand elles ne le sont pas complètement. Pravda arbore une ceinture en guise de jupe, et son gilet de cuir couvre difficilement ses seins tant il est petit. On suit des bandes de jeunes qui affrontent des policiers, des sudistes Américains, ou tout simplement d'autres bandes de jeunes. Le monde de Pravda est en mouvement permanent, et il n'appartient qu'aux jeunes, séduits par des formes, logos, bâtiments uniquement faits pour eux. On y voit par exemple "Young Girls Only" titré sur une porte de toilettes. Les personnes âgées ont d'ailleurs tous des traits de morts, limite squelettiques, et semblent très inertes en comparaison.

Pravda, c’est le chevalier à la quête du Graal. Elle va jusqu’au bout de la vérité en saccageant tout sur son passage: les « êtres-objets » ne trouvent guère plus de grâce à ses yeux que les machines. (extrait de l’introduction d'Henry Chapier).

Rappelons que Pravda signifie vérité en russe. Les bandes présentées dans l'ouvrage sont en effet composées de clones. Peellaert nous dessine des tribus dont les membres sont tous identiques aux autres. Seuls Pravda et Beau semblent uniques et dotés de personnalité. Ils donnent le ton, dictent les ordres et la ligne de conduite. Cette toute puissance de l'idole charismatique est à bien des égards très clairvoyante et effrayante à la fois. Ce qui m'amène à Pasolini et le fascisme de la société de consommation, bien évidemment.

GOURDE: Elles t'aiment déjà Pravda. Elles veulent que tu remplaces La Capone ! PRAVDA: Bande de chèvres, toujours besoin d'un mec. Pravda est libre. Pravda est seule.

Mais s'agit-il d'une oeuvre si critique que cela ? Elle l'est, résolument, mais il y aussi une fascination manifeste de Peellaert qui la rend très ambivalente. Pourquoi Pravda est-elle aussi sexy, voire limite complètement à poil ? Elle apparaît comme le symbole d’une révolution sexuelle. Peellaert avait-il imaginé qu'il pouvait s'agir d’une contribution à l’élaboration d’un monde toujours plus pornographique ?

Reste que cette œuvre propose un graphisme et un contenu exceptionnel. Il y a chez Peellaert un dynamisme dans le trait, un sens du mouvement. Rien, sauf l'ancien monde n’est statique chez lui. Pravda est une bande dessinée qui dépeint un monde qui bouge en permanence, qui ne laisse aucun répit. A la fois ludique car pop, elle n'en reste pas moins une formidable source d'interrogations, de questionnements sur la société dans laquelle on évolue. Mais la bande dessinée n'est-elle pas la forme d'expression la plus moderne pour aborder ce sujet ?