Petit Rouge

Poésies complètes - Arthur Rimbaud

02/04/2021

TAGS: rimbaud, poésie

Je ne m'étais jamais plongé dans l'œuvre de Rimbaud, qui nous est pourtant évidemment introduit par défaut à l'école. Je crois me souvenir avoir uniquement étudié « Le dormeur du val », probablement comme beaucoup au collège. Ces « Poésies complètes » ne le sont pas vraiment. Il manque « Une saison en enfer » et « Les Illuminations », qui sont considérés comme ses chefs-d'œuvre. Rimbaud est toujours présenté comme ce jeune prodige de la poésie française, à la carrière brève mais explosive. Jetons-y un oeil.

Belle hideusement d’un ulcère à l’anus

On y trouve très vite quelques fulgurances. Mais je n’ai pas réussi à m’immerger dans ses débuts poétiques, qui m’ont semblé parfois un peu trop naïfs et immatures. J’ai beaucoup survolé, lu en diagonale la première moitié du recueil.

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées

Je viens de citer des vers que l'on ne présente même plus tellement ils sont passés dans la culture populaire. Mais je les retranscris néanmoins car Rimbaud à un sens de la formule que je n'ai aperçu que chez Baudelaire (ma culture poétique étant finalement très limitée).

L'édition proposée n'omet pas d'introduire les poèmes par ses multiples correspondances, en particulier à son professeur Georges Izambard. Ses lettres témoignent d'un énorme boulard, déjà trop conscient de son génie, une fronde et un manque d'humilité très adolescent. Le film « Total Eclipse » de Agnieszka Holland (avec Leonardo Di Caprio jouant Rimbaud et David Thewlis en Verlaine) présente sans surprise un adolescent fugueur, insolent, rebelle et prétentieux, complètement insupportable. Un enfant terrible, qui souhaite détruire les conventions. Les poèmes comportent pourtant parfois un étalage de références antiques trop gratuites à mon sens. Ainsi que des choix lexicaux qui m'ont parfois semblé niais ou grotesques. Mais il y a une fraîcheur juvénile indéniable. Il démarre sa carrière poétique très jeune, et sa maîtrise de la langue est évidemment très impressionnante. Même s'il reste encore un peu conventionnel dans ses rimes croisées ; il n'a pas encore complètement explosé la poésie dans les œuvres présentées dans ce recueil.

Les filles vont toujours à l’église, contentes de s’entendre appeler garces par les garçons

C’est à partir du poème « Les Premières Communions » que je commence à comprendre le plébiscite. Confirmé par « Le Bateau Ivre », chef-d’œuvre absolu qui confine au surréalisme. On oublie tout, les choix lexicaux grotesques des débuts. Rimbaud signe son premier chef-d’œuvre. C’est éblouissant, il n’a encore que 16 ans. Chargé de symboles et de références, ce poème porte tellement bien son nom qu’on se fait balloter à chaque strophe, tellement il passe du coq-à-l’âne par ces associations surprenantes et une palette lexicale très fournie. Des messages codés (les notes de bas de page supposent en particulier qu'il s'adresse à Verlaine) de part ce symbolisme curieux, parfois cryptique. Un refoulement flagrant et de l'amertume, qui transparaissent malgré des vers parfois sans queue ni tête. Le recueil présente de plus quelques proses (« Un cœur sous une soutane ») qui inaugurent la suite de son œuvre.

Ce recueil témoigne de la maturation d’un style, de manière linéaire, avec un parti-pris respectueux de la chronologie. On y voit un Rimbaud qui monte en puissance, en particulier à partir du dossier Verlaine, qui semble jouer un rôle de catalyseur, apportant davantage de maturité à son œuvre. La hargne et l’amertume y apparaissent graduellement, et marquent pour Rimbaud la fin des illusions et une solitude flagrante (sa contemplation de la nature et l'admiration de la liberté des oiseaux en attestent). Je suppose qu'il réalise que son apport poétique révolutionnaire l'isole progressivement du microcosme littéraire parisien et sonne le glas de sa carrière. Le mythe du génie incompris qui se construit par l'abandon de la littérature et un parcours aventureux de négociant et d'explorateur à l'étranger me semble étrangement idéalisé comme romantique par des institutions qu'il semblait mépriser. Les débats et polémiques sur sa canonisation au Panthéon, qui témoignent d'une récupération communautaire de son homosexualité et d'institutionnalisation de son esprit libre et rebelle, me semblent particulièrement hypocrites.

Rimbaud m'apparaît comme le trait-d'union essentiel entre un classicisme poétique et une verve surréaliste. Même si son manque d'humilité me perturbe, je compte néanmoins m'attaquer à la suite de son œuvre poétique dans le futur.