Avant-propos érudit et approfondi qui donne envie de s'atteler à cette œuvre convoitée depuis longtemps. Je connaissais initialement les gravures de William Blake et sa réputation de mystique, qui me retenait d'aborder sereinement cette lecture.
Je médite sans rien comprendre ; et cependant je vis et j’aime (Le Livre de Thel)
Le mysticisme de Blake est flagrant dès les premières lignes. Presque cryptique. « Toutes les religions n’en sont qu’une seule ». « Il n’y a pas de religion naturelle ». Il me manquait une définition: la religion naturelle est celle qu’on obtient lorsqu'on expurge de celles existantes tous les éléments les particularisant, superstitions et préjugés. Ce concept s’oppose à celui de religion révélée.
Il y a des écarts de traductions notables. Peut-être est-ce pour garder la dynamique des poèmes originaux ? J’ai parfois voulu les lire en anglais, mais cela m’a paru un peu trop complexe, certains vocables anciens me faisant défaut.
Ce qu’Amour cherche c’est son Plaisir, C’est lier Autrui à son désir ; Se réjouir de sa perte d’aise, C’est faire l’Enfer contre le Ciel. (Chansons de l’Innocence et de l’Experience)
Le poème qui donne son titre à ce recueil permet à Blake de refuser la dissociation entre le Bien et le Mal. C’est probablement l’aspect révolutionnaire de ce poème hérétique, celui de ne pas nier cette part constitutive de l’être humain. En restant bienveillant toutefois. Blake se justifie:
Il n’y a pas de progression sans Contraires. Attraction et Répulsion, Raison et Énergie, Amour et Haine sont nécessaires à l’existence humaine. De ces contraires naissent ce que les Religions appellent le Bien et le Mal. Le Bien est le passif qui obéit à la Raison. Le Mal est l’actif qui jaillit de l’Energie. Le Bien est le Ciel. Le Mal l’Enfer. (Le Mariage du Ciel et de l’Enfer)
« Le Mariage du Ciel et de l’Enfer » est à la fois un poème et un essai. Un commentaire de texte avec des références à « Paradise Lost » de Milton (que je n’ai pas encore lu), à la philosophie mystique de Swedenborg (dont je n’avais jamais entendu parler).
Ensuite de quoi les hommes oublièrent que Toutes les divinités demeurent dans le cœur de l’homme (Le Mariage du Ciel et de l’Enfer)
Hérétique et mystique, Blake réhabilite les Démons de l’Enfer, qui semblent être pour lui indissociable aux forces du Ciel. Le caractère manichéen de l’Homme ne peut être refoulé. Il constitue la dynamique de l’Homme vers le Progrès et la Transcendance. Blake ne semble jamais malveillant. L’acceptation du mal ne s’accompagne pas d’un égoïsme cynique, mais plutôt d’une assomption de la nature humaine. La part d’ombre de l’Homme ne peut être niée et son refoulement imposé par l’Église prive l’être humain de sa force vitale qui le guide vers la transcendance. La négation de ce versant de l’être humain, face d’une même monnaie, ne semble pas permettre à l’Homme d’estimer convenablement sa capacité à la bienveillance. Ce positionnement hérétique implique un message finalement humaniste, comme le suggère la dernière phrase du poème en prose « Le Mariage du Ciel et de l’Enfer ».
Tout ce qui vit est Saint ! (Le Mariage du Ciel et de l’Enfer)
« Visions des Filles d’Albion », paru en 1793, propose une cosmogonie plus poétique que philosophique. Bien que je n’aie pas saisi le propos, je me suis laissé porter par la magnificence des vers en prose. J’ai néanmoins eu le sentiment en le lisant que Blake était incroyablement moderne en inspirant la liberté du désir sexuel féminin, mise en avant par la figure féminine d’Oothoon.
Ces poèmes n’en restent pas moins une lecture d’initié. Blake définit une cosmogonie, une nouvelle mythologie. Urizen. Enitharmon. Autant de personnifications symboliques qui permettent à Blake de s’approprier l’histoire et la spiritualité. Cette poésie est méta-religieuse du coup, puisque « toutes les religions n’en sont qu’une seule ». Globalement très abstraits, je retiens des poèmes de ce recueil des vers en prose magnifiques, très puissants dans ses choix lexicaux, mais pour autant très impénétrables compte tenu de mon manque de références. J’ai eu énormément de mal à me concentrer sur leurs symboliques et sens cachés. En me concentrant davantage sur la dynamique poétique. Graveur avant d’être poète, Blake accompagne ses poèmes d’illustrations fortes (je retiens celle de « Europe: une prophétie », un homme tenant un compas d’architecte). Une deuxième lecture semble indispensable, peut-être directement en anglais cette fois-ci. Mais exigera un effort de concentration plus conséquent.