C’était le jour J. Le jours des élections !
Les États-Unis ont abandonné leur ancien mode de scrutin pour toutes leurs élections. Il est désormais possible d'élire un président avec un seul électeur, choisi par un gigantesque ordinateur appelé Multivac. Ce dernier choisit le nouveau président en analysant par une série de questions cet unique citoyen.
Tu vas voter cette année, hein, papa ? « Je ne crois pas, ma chérie », répondit Norman en lui souriant gentiment.
Norman Muller refuse ce mode de scrutin qui lui semble inadéquat. Mais, choisi par Multivac et contraint d'obtempérer par des services secrets peu intrusifs mais persuasifs néanmoins, il se résigne à affronter la machine.
Je ne veux pas qu’une machine me dise comment j’aurais dû voter, simplement parce qu’un quelconque individu, dans le Milwaukee ou ailleurs, se déclare contre la hausse des prix. Je veux être libre de voter si ça me fait plaisir, ou de ne pas voter si je n’en ai pas envie. (Matthew)
Norman Muller perçoit initialement le caractère fallacieux de ce mode de scrutin. À la veille d'une élection présidentielle, il lui semble complètement absurde de valider cette méthode.
Ils ne peuvent pas m’obliger à voter si je ne veux pas !
Cette nouvelle dystopique d’Asimov parue en 1955 imagine le nec plus ultra électoral. Dans un système complètement technicien, la démocratie sondagière ne retient qu'un unique échantillon représentatif. La science statistique des sondages qui permettait de prédire un résultat électoral avec un échantillon de plus en plus réduit est ici poussé à l'extrême.
Dans ce monde imparfait, les citoyens souverains de la première et la plus grande démocratie électronique avaient, par l’intermédiaire de Norman Muller (par son intermédiaire à lui !), exercé une fois de plus, librement et sans contrainte, leur droit électoral.
Déshumanisée par un simple ordinateur, les États-Unis élisent leur nouveau président grâce à Muller qui se retrouve à la fin complètement grisé et retourné par son expérience. Multivac est un secret d'état dont personne ne connaît vraiment les rouages et qui pose le problème du déni de démocratie toujours plus actuel. Bien que la fin de la nouvelle m'ait semblé bâclée et abrupte, Asimov, pionnier de la robotique donne un avant-propos lumineux, une mise en garde qui interpelle à l'heure des intelligences artificielles. Visionnaire, il nous amène à questionner notre droit de vote et son simple intérêt. Il n'est pas ici question de considérer l'abstention sous ses aspects idéologiques à une époque de non-choix, mais plutôt d'appeler à davantage de méfiance quant à l'instrumentalisation de nos libertés personnelles.