Petit Rouge

L’heure HH - Loic Marcé

22/09/2020

TAGS: marce, roman, musique, hiphop

C’est le roman d’un ami. Il peut parfois être gênant de lire le travail d’un proche dont l’activité principale n’est pas d’écrire, qui se met à nu et peut-être soumet quelque chose qui n’est potentiellement pas au niveau. Comment réagir si ce n’est pas à la hauteur ? « L’heure HH » est un roman sur le hip hop. Il se déroule en France, à peu près au moment de la coupe du Monde de football de 2018. Il retrace le parcours de différents personnages tous impliqués dans des disciplines hip hop tel que le graff, le breakdance ou le rap. Et quelle agréable surprise !

Roman choral de très bonne facture, dont la prose est surprenante de maitrise et surtout incroyablement sourcé. J’ai déjà eu l’occasion de lire des écrits « d’amateurs » et j’ai toujours ressenti une certaine méfiance à le faire. Je crois avoir une culture classique de base qui me rend autonome dans mes appréciations et me permet d’identifier des filiations, des références et me permet d’extrapoler le propos de l’auteur. Je n’ai donc eu aucune pitié lors de cette lecture, que j’ai abordé comme si j’avais entre les mains un roman de Boulgakov. Sans avoir aucune indulgence sur le fait que c’est un premier roman. Il serait de toute manière inutile d’être consensuel.

Ayant été moi-même marqué par l’age d’or du hip hop dans les années 90 et ayant un bon aperçu de l’historique et de l’émergence de cette culture (en particulier via Skiz Fernando), j’ai été conquis par l’insistance des valeurs positives transmise dans ce roman. Il se concentre en effet sur le « Peace, love, unity and having fun » de la Zulu Nation et élude probablement de manière très volontaire le virage mercantiliste du mouvement. Il recense un nombre impressionnant d’anecdotes et de faits réels sur le zeitgeist et le bouillon social de cette époque.

La structure chorale est simple, ça marche très bien. La puissance et la portée universelle de ce mode de vie est très bien retranscrite à travers le personnage de Thierry, un fils de bonne famille qui se passionne pour ce mouvement au grand dam de ses parents qui le voient banquier. Je suppose qu’il y a une part de l’auteur dans ce personnage qui doit constamment se justifier d’être sincèrement amoureux de cette culture sans appartenir à aucun ghetto. Sa faille (il est alcoolique) le rend d’ailleurs plus humain qu’opportuniste. J’ai donc trouvé très intelligent de le présenter pour insister sur le bouleversement universel de cette culture. C’est d’autant plus vrai pour ce versant du hip-hop mis en avant ici. Cette période était encore positive et n’importe quel mec des années 80-90 étranger aux cités s’est pris une claque. Une part de moi se retrouve dans ce personnage, mais aussi un peu des autres (Sonia la danseuse, Karim le graffeur). Le développement de leur psychologie m’est apparu clairement. La prose s’adapte aux personnages. Plus fournie dans le cas de Thierry qui a probablement la meilleure éducation. Spontanée et plus urbaine chez Moussa, Daniel et Farid les rappeurs de Marseille.

Je crois néanmoins qu’un des travers linguistiques du roman réside dans le fait d’exagérer un peu le phrasé caillera. Je me méfie toujours un peu des références linguistiques issues de la rue dans un roman. Et d’ailleurs j’ai trouvé que les notes de bas de page qui donnent la définition d’un mot urbain que le lecteur ignorerait était de trop. J’estime que le lecteur doit faire un effort et lui donner explicitement la solution était peut-être presque condescendant. Après avoir lu Vernon Subutex de Despentes qui propose au lecteur un roman choral plus sophistiqué et subtil dans ses usages sémantiques j’ai souvent eu le sentiment que la connaissance du jargon hip hop était mal assumée dans « L’heure HH ». Mais la portée pédagogique du roman est telle que ce point apparait finalement assez anecdotique.

Les phrases sont très bien rythmées et les chapitres sont aussi très bien dimensionnés. Cette fluidité très innée donne envie d’en lire toujours plus et malgré quelques pauses circonstancielles, j’ai globalement lu ce roman d’une traite. Ce qui ne m’arrive plus très souvent car je perds patience quand le rythme des phrases est mal équilibré ou les chapitres trop long. L’équilibre est donc parfaitement trouvé.

Il y a des facilités narratives, des choix peut-être parfois trop simplistes. Qui sont pourtant parfaitement rétablies par l’immense somme de connaissances présentée dans le roman. Ce livre transpire donc la passion, l’envie de partager. Raconter des histoires vraies sur le hip hop qui ne sont jamais mises en avant par les médias et perdues dans la mémoire des acteurs du mouvement. « L’heure HH » est donc finalement assez hybride. C’est manifestement un roman, mais aussi un document, un témoignage.